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blèmes, elle revenait avec amour aux charmantes fantaisies de son imagination.

Ce n’est pas nous qui nous montrerons surpris ou mécontent des velléités philosophiques dont à toutes les époques fut animée Mme Sand. Nous avons dit plus haut comment notre littérature était nécessairement marquée d’un caractère polémique, et pourquoi de nos jours l’esprit de discussion dominait en toute chose et dans tout écrivain. À nos yeux, l’auteur d’Indiana était donc irrésistiblement destiné au rôle de romancier philosophe ; mais ce rôle, comment a-t-il été rempli ? L’institution du mariage telle que notre société l’a faite a été, dès le premier roman de Mme Sand, l’objet de ses attaques. On ne saurait s’étonner qu’un pareil sujet ait préoccupé une femme. Il y avait même quelque chose d’opportun dans l’intervention d’une femme douée d’un vrai talent, à une époque où les théories nouvelles des uns et le scepticisme des autres appelaient l’examen et la critique sur les fondemens de tout ce qui constitue la moralité sociale. Enfin les femmes allaient avoir un interprète de leurs sentimens, interprète qui, on pouvait l’espérer, saurait toujours unir à l’éclat de l’imagination une délicatesse habile et ce tact heureux qui n’est pas moins une puissance qu’un charme. Le champ était immense. Pour ne pas s’y perdre, il fallait à la femme qui descendrait dans l’arène un grand empire sur elle-même ; elle devait naturellement se trouver environnée de périls et d’écueils. Tout devait conspirer contre son indépendance, contre sa liberté, les coteries, les sectes, les partis, et ce qu’il y avait de plus dangereux, surtout dans cette circonstance, les admirateurs. Que de difficultés à vaincre pour conserver dans cette atmosphère ardente une imagination calme et pure, sans en altérer l’énergie féconde ! Nous ignorons si, pour toute autre femme, ces difficultés eussent été insurmontables ; mais Mme Sand n’a pas su en triompher.

Quand on passe en revue les compositions de l’auteur d’Indiana, on est frappé des impressions diverses et contradictoires sous l’empire desquelles elles ont été écrites. Dans ses romans, Mme Sand est naturellement disposée à donner aux femmes le premier rôle, le rôle le plus noble, le plus beau : on l’y voit goûter un plaisir d’orgueil et presque de vengeance à rabaisser, parfois même, comme dans Leone Leoni, à dégrader les caractères masculins. Ces intentions passionnées et malignes sont contraires aux grands effets de l’art, car elles ôtent à l’esprit la claire et pure vision des réalités qu’il doit peindre. Voilà déjà un écueil qu’une intelligence plus forte aurait su éviter. Cependant un autre danger attendait l’auteur de Valentine, c’était de subir l’influence de cette même puissance masculine contre