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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

aucune conscience du moment précis où l’on passe de la présence à l’absence de cette idée. Appliquée aux sentimens, l’idée nous révèle notre propre existence ; appliquée aux sensations, qui sont en opposition avec nos sentimens, elle nous révèle le monde extérieur. Lorsque l’entendement considère les qualités en les séparant les unes des autres, et en les séparant des objets auxquels elles appartiennent, lorsqu’il les regarde comme des notions liées à l’idée du possible, abstraction faite de l’existence réelle, alors les sensations deviennent des idées et acquièrent la propriété de représenter tous les objets qui leur ressemblent. — Voilà l’origine des idées, et ici M. Rosmini observe que le sentiment et la sensation suffisent à provoquer la pensée, mais qu’il faut la parole pour provoquer les actes successifs de l’abstraction et de la généralisation. — Quant aux idées qui gouvernent, pour ainsi dire, tous les actes de l’intelligence, telles que les axiomes, les idées de substance, de cause, les formes de l’espace, du temps, la notion du mouvement pur, M. Rosmini les a fait rentrer dans l’idée de l’être possible, et par conséquent il doit les faire sortir de cette idée première. De là une longue analyse extrêmement minutieuse et subtile qui résume tous les travaux de Locke, de Kant, des écoles antérieures, reprend tous les problèmes en renouvelant toutes les solutions, et reproduit le sensualisme de Locke, complètement modifié par la présence d’une idée kantienne. On peut résumer cette analyse en disant que l’idée jointe à la sensation produit le jugement ; l’idée, ne pouvant à la fois être et ne pas être, explique le principe de contradiction ; l’idée jointe à une sensation donne une substance ; la sensation considérée comme l’effet d’une substance donne la cause. Restent les idées de temps et d’espace. Le temps, c’est la série des phénomènes, abstraction faite des phénomènes ; l’espace, c’est le corps, abstraction faite du solide. Il y a une idée du mouvement pur, parce que nous pouvons nous faire une idée abstraite du mouvement matériel. Le temps, l’espace et le mouvement semblent continus : cela vient de ce qu’avec deux termes d’une succession, ou entre deux points d’un corps, on peut toujours en supposer un troisième possible à l’infini. Le temps, l’espace, le mouvement, semblent infinis : cela tient encore à la propriété de l’idée, qui nous fait toujours supposer un temps, un espace, un mouvement possible au-delà de la réalité. Il en résulte que la continuité des corps et du mouvement matériel n’est qu’une illusion des sens ; la continuité infinie de l’espace, du temps et du mouvement pur n’est qu’une illusion de l’esprit[1].

  1. Nouvel essai, etc. vol. II.