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REVUE. — CHRONIQUE.

la domination à un mode d’occupation indéfini et bâtard, qui serait d’une application fort difficile à nos sociétés régulières, et qui devient une impossibilité véritable pour un peuple enfant, où le génie européen ne peut se mettre en contact avec le génie sauvage sans se trouver dans le cas de le dominer. Chacun était donc convaincu que la protection exercée sur les îles de la Société entraînerait tôt ou tard la proclamation de la souveraineté de la France sur ces possessions lointaines, et l’on supposait qu’en nous engageant dans une telle entreprise par des considérations d’honneur, beaucoup plus que par des motifs d’utilité, le gouvernement avait mesuré d’avance une neutralité à peu près inévitable. Personne ne supposait que l’acte complémentaire de la souveraineté française sur Taïti pût entraîner des complications diplomatiques qui ne se sont pas produites lors de la déclaration du protectorat. En droit, la situation n’était pas changée par rapport à l’Europe, puisque le traité du 9 septembre 1842 nous investit de toute la souveraineté extérieure de cet archipel. En fait, les motifs qui ont déterminé la conduite de l’amiral Dupetit-Thouars en 1843 paraissent d’une nature plus grave que les actes qui avaient provoqué sa première intervention en 1842. Il s’agissait alors des griefs privés de quelques-uns de nos concitoyens, pour lesquels des réparations pécuniaires ou civiles, comme on dirait en Europe, étaient amplement suffisantes. Aujourd’hui il s’agit d’une question de pavillon et de suprématie ; c’est le symbole extérieur de la domination française acceptée par la reine Pomaré qui paraît avoir été insulté par la princesse indienne. On peut ne pas mettre l’occupation de Taïti sur la même ligne que les victoires d’Austerlitz, de Marengo, pour parler avec lord Brougham, et cependant se montrer blessé d’un tel procédé, surtout s’il est dû à une intervention étrangère que la France rencontre en face d’elle sur tous les points du globe. Les marins n’entendent pas raillerie sur cet article. Le drapeau, c’est pour eux la France, c’est la patrie plus chère encore, lorsqu’elle apparaît à l’extrémité du monde dans son symbole sacré. Avant de blesser de tels sentimens dans leur exagération même, il faut des torts très graves et mille fois démontrés. En est-il dans la conduite du brave amiral commandant les forces françaises, officier-général dont M. le ministre des affaires étrangères, dans la discussion de 1842, ne louait pas moins la prudence que le courage ? Des instructions ont dû être données à M. le gouverneur Bruat, ou transmises par lui à l’amiral Dupetit-Thouars. Ces instructions devaient prévoir l’éventualité d’un conflit presque inévitable dans un pays soumis à tant d’influences contraires à la nôtre. Si elles ne prévoyaient pas de telles difficultés, elles auraient été rédigées avec une légèreté impardonnable ; si ces difficultés étaient prévues, la question actuelle se trouvera facilement vidée, car il ne restera qu’à mettre la conduite de l’amiral français en regard de celle qui a dû être prescrite pour certaines hypothèses. Ces instructions n’ont pas été jusqu’ici communiquées en entier à la chambre, et on assure qu’il en est ainsi pour les rapports de M. Dupetit-Thouars, dont le texte