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fille inspirée de toucher quelques feuillets jaunis d’un vieux livre, pour qu’une figure jusque-là voilée… que dis-je ? pour que tout à coup une sœur inattendue de Pauline et de Chimène apparaisse et se révèle ! La magicienne a parlé… et voilà qu’un diamant de plus a lui dans la couronne étoilée du vieux Corneille !

Je vais dire une chose qui paraîtra bizarre, mais qui pourtant me semble vraie. Il y a, si je ne me trompe, dans la principale situation de Don Sanche, une sorte d’à-propos piquant qui doit ajouter à l’attrait naturel de cette reprise. On nous a si souvent entretenus, depuis quelque temps, de jeunes filles couronnées, forcées d’accepter un mari délibéré en congrès européen, que la supposition d’une reine, et, qui plus est, d’une jeune reine d’Espagne à marier, telle qu’Isabelle, je veux dire telle que l’Isabelle de Don Sanche trouve toutes les imaginations ouvertes à l’intérêt et préparées à comprendre ce qu’une telle position peut avoir de critique et de romanesque. La jeune Isabelle donc, à peine reine depuis deux mois, est pressée par les états de Castille de prendre un mari, et, comme il ne se trouve alors dans les Espagnes aucun roi qui la puisse épouser, elle est obligée de faire un choix parmi les grands de son royaume. Cependant Isabelle aime en secret un jeune aventurier, Carlos, un soldat qui n’a d’autres titres à l’estime publique que sa bravour et son épée. La jeune reine combat ce penchant, dont sa fierté s’indigne et que les devoirs de son rang lui commandent de maîtriser ; mais des circonstances, habilement ménagées par le poète, la contraignent à tous momens de laisser échapper quelque chose de son secret. Cette donnée, alors nouvelle et hardie au théâtre, d’une reine qui aime un cavalier sans naissance, et qui est fatalement amenée à laisser voir son penchant, fait naître plusieurs situations, qui, malgré le rang du principal personnage, touchent à la comédie. En effet, ce sujet qui semble avoir blessé la susceptibilité d’Anne d’Autriche, comme on peut l’induire d’une demi-confidence de Corneille, est, si l’on y prend garde, le même que Marivaux, un siècle plus tard, fit descendre de plusieurs degrés, et dont il tira tant d’effets agréables et de gracieuses angoisses dans les Fausses Confidences et le Jeu de l’Amour et du Hasard. Ce sujet est encore le même (tous nos lecteurs en auront déjà fait la remarque) que l’auteur de Ruy-Blas a reporté dans les régions royales, en le dépouillant, sans pitié, de tous ses adoucissemens chevaleresques. Il est vraiment curieux, en présence de ces deux expressions extrême d’une même idée, Ruy-Blas et Carlos, de