Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/897

Cette page a été validée par deux contributeurs.
893
DON SANCHE D’ARAGON.

verrons avec une satisfaction vive et sincère la Comédie-Française persévérer dans cette voie laborieuse d’études intelligentes. Tout le monde y gagnera ; le goût du public s’étend et s’améliore par ces utiles comparaisons ; la vue vacillante de la critique s’affermit devant ces fières beautés des vieux maîtres, qu’elle a été souvent tentée de prendre pour des défauts dans les poètes contemporains ; le talent des acteurs eux-mêmes se retrempe et s’assouplit dans ces grandes et fortes luttes. N’est-ce pas d’ailleurs le glorieux privilége des grands artistes dramatiques de pouvoir ranimer de leur souffle les chefs-d’œuvre que l’oubli commence à atteindre ? Malheureusement, bien de belles œuvres qui ne sont pas mortes encore, mais qui se refroidissent dans le silence, attendent ce souffle qui leur fait défaut ; mais leur tour viendra. Nous ne voulons aujourd’hui exprimer ni regrets ni désirs. Le moment serait mal choisi. Mlle Rachel ne vient-elle pas de se montrer à nous sous deux formes nouvelles ? Remercions-la, ainsi que Beauvallet, de nous avoir ainsi rendu, à un si court intervalle, deux ouvrages, non pas assurément les plus parfaits de leurs auteurs, mais deux ouvrages charmans, à divers titres, remplis d’enseignemens poétiques, et qui plus est, à force d’avoir été oubliés, nouveaux en quelque sorte pour un grand nombre de spectateurs.

Cela est vrai surtout de Don Sanche. Qui de nous, je le demande, se rappelait, avant les représentations dernières, cette pièce que les plus curieux ont lue à peine une ou deux fois en courant ? qui de nous avait conservé un souvenir distinct de la fable et des caractères ? qui avait présens à la mémoire les traits et la physionomie de Carlos et d’Isabelle ? M. de La Harpe n’a pas même cité, chose inouie ! le titre de cet ouvrage dans le demi-volume qu’il a consacré à l’examen du théâtre de Corneille. M. de Schlegel ne mentionne Don Sanche d’Aragon dans son Cours de littérature dramatique que pour le placer étourdiment ou malicieusement peut-être sur la même ligne que le Cid. Aujourd’hui, grace à l’exquis commentaire de Mlle Rachel et de Beauvallet, nous sommes rentrés en possession de cette charmante création du père de notre théâtre. Aujourd’hui, nous comprenons pour la première fois tout ce que vaut le rôle trop peu apprécié d’Isabelle. Merveilleux pouvoir de l’art du comédien ! Il suffit à une jeune

    lieu de choisir dans l’histoire romaine et dans la fable grecque ? » Malgré le respect que nous portons au génie de Voltaire, nous ne pouvons nous empêcher de trouver ce pourquoi bien étrange.