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JEAN-PAUL RICHTER.

s’agit ici de religion philosophique, car, au point de vue du dogme, son procès serait vite fait, et je doute que la liberté grande avec laquelle il manipule parfois les objets les plus sacrés du culte trouvât grace devant une assemblée de fidèles. Néanmoins, je le répète, en dehors de certains passages, qui du reste appartiennent en propre à l’humoriste, les tendances de Richter sont religieuses, pieuses même, dans le plus haut sens du mot. Un principe de miséricorde et d’humilité étendu jusqu’à la bienfaisance, une foi continue, immuable en l’immortalité de l’être, en sa grandeur native, tempèrent de leur salutaire influence les élémens ardens de sa nature. Du milieu des abîmes de la vie, il contemple au ciel une étoile aimantée qui l’attire ; cherchant dans l’éternel et l’invisible la solution du visible et du temporel, il a douté, il a nié, et pourtant il croit. « À votre dernière heure, dit-il quelque part dans Levana, quand toute faculté s’éteindra dans votre ame brisée, que de tant d’imagination, de pensées, d’efforts, de jouissances, il ne vous restera plus rien, alors à la fin la fleur nocturne de la croyance s’épanouira seule, et rafraîchira de ses rayons l’obscurité suprême. » Quant aux contradictions manifestes qui éclatent à chaque instant dans ce système de foi humaine et religieuse, il va sans dire que nous n’essaierons point de les expliquer ; il nous suffira d’en reconnaître au moins la franchise et la rondeur loyale. À la métaphysique de Richter, métaphysique toute d’imagination et de sentiment, on serait mal venu de vouloir demander des conditions d’unité ; autant vaudrait appliquer à ses utopies politiques les conclusions d’un homme d’état, juger du point de vue de l’histoire ses hypothèses sociales, ses théories de paradis terrestre, ou mettre la physiologie en demeure d’interpréter sa science du rêve. Et cependant physiologie, jurisprudence, politique, morale, théologie, météorologie même, il y a de tout cela dans ses écrits, mais à doses mêlées, en bizarres amalgames, subordonnés la plupart du temps aux seuls caprices de l’imagination. Poète, Jean-Paul philosophe en poète, et quand il vous a donné sa conviction du moment, quand il vous l’a donnée ouvertement, courageusement, telle que sa conscience la lui dicte, ne lui en demandez pas davantage, car ces petits écarts du philosophe ont peut-être coûté cher à l’homme, et méritent par là votre indulgence.

Certes, avec les dons extraordinaires qu’on ne saurait sans injustice lui contester, il est plus difficile de dire comment Jean-Paul aurait dû former son esprit que de dire qu’il l’a mal formé. Affectation de mauvais goût, s’écriera-t-on, fureur de vouloir produire de l’effet à tout prix ! Le reproche, à coup sûr, aura du vrai, et nous ne tenterons