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JEAN-PAUL RICHTER.

un ange de résignation et de passivité, Jean-Paul crut un moment l’avoir trouvée dans une gracieuse personne dont il s’éprit avec passion. L’héroïne de ce nouveau roman s’appelait encore Caroline, — il y a des noms auxquels on est voué, — et se trouvait, en dépit des répugnances de notre philosophe, être juste une muse. Qu’on parle ensuite de la logique du cœur humain. Toutefois la tache monstrueuse, la tache d’encre disparaissait dans l’enchantement du sourire. Si l’aimable pédante use son temps à feuilleter de lourds volumes, c’est tout simplement qu’elle veut s’instruire et ne ressemble point aux jeunes filles ordinaires qui ne cherchent dans la lecture qu’une sorte de manne sentimentale. Avec combien de joie il vous raconte qu’elle s’occupe aussi de botanique et de poésie, qu’elle passe de l’étude de l’histoire au classement de son herbier ! « Jamais chez aucune femme ; s’écrie-t-il dans un moment d’enthousiasme, je n’ai rencontré cette moralité austère, profonde, essentiellement religieuse, qui se montre dans tous les points, perce dans les moindres bourgeons. Je sens que mon union avec elle va me purifier jusqu’au fond de l’être. » Après l’énumération des qualités morales vient le tableau des qualités physiques, le portrait, qui, tout flatté qu’on le soupçonne, excuse à la rigueur cette conversion un peu bien brusque du philosophe au culte de la femme géniale. Elle a le teint blanc et rose, les yeux noirs, un front à la fois poétique et féminin, et ainsi du reste avec cette concession finale dont s’arrange assez volontiers la modestie des amoureux, à savoir qu’à défaut de beauté le piquant y est, le certo estro, comme disent les Italiens.

Cependant la philosophie a ses retours. Peu de temps après, la liaison se rompit, et Jean-Paul, abjurant sa tolérance d’occasion, n’en revint qu’avec plus de fougue à son vieux thème, pauvre papillon qui s’est brûlé le bout de l’aile à l’éclair d’une bougie de bal et qui jure bien qu’on ne l’y reprendra plus. « Cette rupture, que des incompatibilités morales rendaient impérieuse, ne m’empêcha point de regarder le mariage comme la seule arche de salut. En dehors d’une union légitime, notre imagination ne fait que nous entraîner en toute sorte de liaisons qui finissent toujours par briser un des deux cœurs qui sont en cause, quelquefois par les briser tous les deux. Mon cœur veut la paix domestique dont on jouissait chez mes parens, cette paix que le mariage seul peut donner. Je ne demande pas une héroïne, n’étant rien moins qu’un héros ; ce qu’il me faut, c’est une jeune fille aimante, affectionnée, car désormais j’estime à leur juste valeur ces chardons flamboyans qu’on appelle femmes de génie. » Hâtons-nous de dire