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eût soumis à toutes les combinaisons possibles, ne laissant aux faiseurs de récits de la postérité que le choix dans les redites, il faudrait alors donner congé à la Muse plutôt mille fois que de l’entraîner, pour lui fournir du nouveau, dans les sentines impures du vice ignoble et du crime odieux, plutôt que de la dégrader enfin, sous le prétexte de la rajeunir !

Lorsqu’un homme de conscience pure, dit-on, M. Parent-Duchâtelet, qui, par devoir, avait passé sa vie dans les régions fangeuses de la prostitution parisienne, communiqua ses études aux lecteurs, il obéit à une inspiration malheureuse, et publia un livre honnête et scandaleux. De pareils ouvrages doivent être fermés au public, comme le musée secret de Naples. Pour désinfecter ces lieux qu’on ne peut pas détruire, il faut que les médecins du corps et les médecins sociaux étudient dans tous ses degrés cette putréfaction physique et morale ; mais les résultats de ces travaux doivent être l’objet de rapports officiels en haut lieu. Si on se trompe d’adresse, si le rapport officiel se change en un livre de cabinet de lecture, en voulant guérir la plaie sur un point, on l’agrandit sur un autre. Le manuscrit était une œuvre louable et utile, l’ouvrage publié est une suite de peintures obscènes, et un honnête homme se trouve l’auteur d’une espèce de compendium du libertinage. M. Parent-Duchâtelet mit donc au jour un livre dangereux, quoique son ouvrage eût la sécheresse du procès-verbal. Que sera-ce alors si on arrange Parent-Duchâtelet en roman, si on cherche ainsi à répandre l’intérêt sur cet amas de vices qui piquent déjà la curiosité au vif, lorsqu’ils sont présentés sous la forme de la nomenclature ? Que sera-ce, si on emploie tous les moyens qui sont à la disposition du romancier, pour vous attirer et vous retenir au milieu des grossiers tableaux de ces basses impuretés, qui ont leur attrait sans doute, puisque l’écrivain et le lecteur s’y plaisent si facilement ? Notre goût est en bon chemin ! Les ruelles de la Cité, voilà les jardins d’Armide de nos poèmes !

Avec la plus admirable souplesse d’esprit et la plus grande dextérité de parole, il serait impossible de raconter dans un salon, dans ce qu’on est convenu d’appeler le monde, certaines scènes de nos romans, sans faire monter la rougeur au front des femmes. Personne n’oserait commencer de pareils récits, et, si on commençait, à coup sûr on n’achèverait pas. Comment donc ose-t-on écrire et signer de son nom ce qu’on n’oserait pas dire, et comment celles qui ne pourraient pas écouter le premier mot sans rougir, et qui vous imposeraient silence au second, parviennent-elles à vous lire le front calme