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de la matière. À ce compte, l’existence de son Maria Wuz devait être pour Jean-Paul l’idéal du bonheur ici-bas. Quel heureux mortel en effet, aux yeux d’un si imperturbable sténographe, que ce bonhomme de maître d’école qui passe sa vie à rédiger des volumes sur les mille et un titres dont il lit la nomenclature dans le catalogue de la librairie ! Mais en vérité on se demande si la plaisanterie est permise en face d’une monomanie aussi déclarée, d’une originalité qui porte avec elle tous les symptômes de la maladie, tous les caractère de je ne sais quelle hystérie chez l’homme. « S’il m’arrive par hasard, écrit Jean-Paul, de vouloir donner à mon esprit ou à mon corps un repos de trois jours, je sens dès le second une indomptable ardeur d’incubation qui me ramène irrésistiblement à mon nid rempli d’œufs ou de craie, et le pauvre diable de Paul en sera logé là jusqu’à ce que la fièvre dévorante qui consume son sein agité se calme à la fraîcheur de la terre du tombeau. »

J’ai parlé du voyage à Weimar. Lorsqu’en 1796 Jean-Paul vint visiter l’Athènes germanique, l’attitude des héros du temps commença par le déconcerter. Il s’attendait à autre chose, à quelque vaporeuse et fantastique apparition évoquée de leurs œuvres ; car, soit dit en passant, notre enthousiaste ne laissait pas que d’être un peu badaud dans ses relations avec les autres hommes, et lui-même appartenait singulièrement à cette classe de gens naïfs et simples dont nous lisons dans ses écrits, qu’ils ne sauraient se représenter un poète autrement que sous une forme éthérée, et n’imaginent pas que le favori de la Muse puisse dévorer une tranche de jambon et vider bravement son verre. Ses relations avec la plupart des grands écrivains de la pléiade weimarienne l’attristèrent. Ne trouvant rien chez eux de cette fougue juvénile, de cette ardeur immodérée, qui devaient, à son point de vue, nécessairement caractériser le sens poétique, il regretta son idéal déçu. Goethe surtout se chargea du désenchantement. « Il n’admire plus rien au monde, sa parole est de glace, même pour les étrangers, qui ne l’abordent que très difficilement ; il a quelque chose d’impassible et de superbement cérémonieux. L’amour des œuvres d’art est désormais le seul qui fasse battre les nerfs de son cœur ; c’est pourquoi j’avais envie de prier la personne qui me conduisait de me plonger au préalable dans quelque source minérale, afin que je pusse m’y pétrifier et paraître ensuite à ses yeux sous l’aspect incomparablement plus avantageux d’une statue. » Laissons Jean-Paul continuer et parfaire la silhouette. « D’après ce qu’on m’avait dit, j’allai chez lui sans enthousiasme et mu seulement par la curiosité. Sa maison me frappa ;