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qu’il a en lui, rien de plus, rien de moins : une tendresse infinie pour l’être, quel qu’il soit, une bienveillance intime, universelle, une miséricorde sans bornes. À tout prendre, l’humour est de la sensibilité, une sensibilité que le sourire accompagne, quelque chose de vague et d’indéfini, de bâtard si l’on veut, la plaisanterie mélancolique, la gaieté qui pleure. La faculté mère chez Jean-Paul, la faculté génératrice d’où dérivent tous les autres attributs, c’est l’humour. Richter est humoriste du plus profond de son ame ; il sent, imagine, et procède comme un humoriste. Vous le voyez passer en un moment, presque sans transition, de la gaieté la plus vive à la mélancolie, à la tristesse, faire d’un seul trait, à l’exemple de Rubens, d’une physionomie épanouie et riante une physionomie rêveuse et chagrine, et cela, pour une idée qui lui traverse l’ame, pour un nuage dont le ciel se voile ; puis un instant après l’idée s’évanouit, le nuage se dissipe, et notre poète redevient gai, s’ouvre de plus belle au printemps, à la vie, au ciel bleu, et reprend sa chanson comme l’oiseau des bois. Richter est fantasque, je l’avoue ; mais il y a tant de naïveté dans ses boutades, tant de franchise et de bonhomie dans ses divagations, dans ses lubies, qu’on les lui pardonne volontiers et qu’on finit toujours par l’aimer. Et comment ne pas l’aimer, ce noble cœur qui se passionne incessamment pour le bon, l’honnête et le juste ? L’humour, faculté tout individuelle, résulte de divers élémens qui doivent se combiner à juste dose. Isolément, la verve satirique, pas plus que la sensibilité, ne constituent l’humour. L’une, mordante, sèche, acérée, aboutit à la raillerie, au trait, à l’esprit ; l’autre, si quelque sel n’en relève le goût, dégénère bientôt en sentimentalité. Ici vous avez Voltaire, là Kotzebue ; ailleurs sont Rabelais, La Fontaine, Cervantes, Sterne, Jean-Paul. Il me semble qu’on pourrait définir l’humour : « le romantisme dans la plaisanterie, dans le comique. » Après cela, il ne faudrait pas non plus l’envisager sous un point de vue de mansuétude universelle. Richter n’exclut pas Swift. D’ailleurs, il ne s’agit ici ni d’une vertu théologale ni d’une fade bergerie à la manière de Gessner. L’humour a ses vivacités malignes, ses quintes bilieuses, ses redoublemens, ses colères ; seulement avec elle, nulle personnalité n’est à craindre. Que lui importe l’individu ? c’est à l’entité qu’elle s’attaque pour la battre en ruine par le contraste de l’idée. Il n’y a point devant elle des fous, une folie déterminée ; il y a de la folie, il y a le monde. Vous ne la verrez pas se grimer, à l’exemple d’un comédien pour reproduire tel ou tel ridicule. Si elle abaisse la grandeur, ce n’est point, comme la parodie, pour la mettre au niveau de la petitesse ; si elle élève la petitesse, ce