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JEAN-PAUL RICHTER.

mense, où tout se tient, le faux et le vrai ; le sublime et le grotesque, où l’épopée coudoie le conte bleu, où les rayons les plus purs, les plus doux d’une philosophie éthérée plongent sans s’y confondre comme il arrive dans ces intérieurs de Rembrandt, à travers la nuit et les ténèbres ; quelque chose enfin de confus et d’impénétrable comme le chaos, mais d’aussi vaste et d’aussi fécond, — et c’est cette œuvre qu’il s’agit de remuer de fond en comble, ce chaos qu’il faut débrouiller, si l’on veut connaître enfin le véritable Jean-Paul ; c’est là qu’il faut aller surprendre le colosse.

En général, chez lui, le vague des idées vous irrite encore moins que la fantaisie du discours, et quelque familier que l’on puisse être avec ces nébuleuses imaginations de la métaphysique et de la poésie du Nord, quelque bonne volonté qu’on ait d’ailleurs, on se déconcerte en présence de ce style sinueux à dessein, de cet imprévu sans cesse renaissant dans la formule et dans le mot, de ces phrases serpentines qui décrivent des courbes à perte de vue, et vont se repliant sur elles-mêmes, sans aboutir jamais, car la fantaisie est leur but. Quant à la grammaire, il n’en saurait jamais être question, non que Richter ignore la syntaxe mais ne faut-il pas que son humeur ait le dessus ? Le voilà donc trafiquant avec une libéralité fastueuse des parenthèses, des phrases incidentes, inventant les néologismes par milliers, soufflant sur la poussière des archaïsmes et les remettant à la lumière ; enjoué, satirique, rêveur, sentencieux jusqu’au pédantisme ; disposant, accouplant, emboîtant les idées et les mots dans les combinaisons les plus charmantes, dans les plus adultères agglomérations. Il y a, dans je ne sais quel roman, une académie fantastique dont les membres sont jour et nuit occupés à piler dans un mortier des substantifs et des adverbes. Jean-Paul rappelle en tout point ces pharmaciens littéraires, il élabore ses parties du discours, comme ferait ses drogues un chimiste ; il les combine, les manipule, les traite par les semblables et les contraires, et des élémens les plus simples ainsi passés à l’alambic de son esprit, il finit par extraire presque toujours des sels nouveaux qui vous ravivent. Que dire ensuite de ces éternelles métaphores, de ces allusions sans cesse renaissantes, de ces interjections prodigieuses, de ces calembours, de ces jurons, de ces veines épigrammatiques qui jaillissent tout à coup du discours ? que dire de cette école buissonnière à travers les ronces et les fleurs du style et de la poésie, à travers les émeraudes et les cailloux, les ténèbres et le soleil ? C’est un imbroglio dont rien n’approche ; de toutes parts obscurité, dissonance, confusion : worse confounded ; Shakspeare a trouvé le mot.