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JEAN-PAUL RICHTER.

Paul à Toepen se trouvèrent naturellement rompus ; il quitta donc cette résidence et revint à Hof. Du reste, ses idées s’étaient singulièrement modifiées ; l’adversité, les soucis, quelques années avaient ramené à des mœurs plus faciles, à des goûts plus modérés, l’esprit jadis insociable et vagabond. Aussi l’étonnement fut-il grand lorsqu’on le vit inaugurer une ère nouvelle par la réforme complète du costume excentrique qu’il avait adopté. C’en était fait, l’étudiant débraillé de Leipzig sacrifiait aux convenances de l’époque son célèbre costume à la Hamlet. Jean-Paul reprenait la queue, grave et mémorable évènement qu’il a soin d’annoncer à ses amis par circulaire. « Je me suis décidé à faire peau neuve, écrit-il à Vogel, et à relier définitivement en un volume à la française mon corps autrefois broché. Me voici donc le cilice au col et les cheveux dûment noués et tordus dans une espèce de suffixum, ou, si vous l’aimez mieux, d’accentus acutus vulgairement appelé queue. En somme, je n’ai qu’à me louer de m’être enfin rendu à vos conseils si maladroitement repoussés par moi dans le temps ; car depuis que j’ai dépouillé le vieil homme et traduit mon corps de l’anglais en allemand de ce pays, je sens que je vais et viens avec plus d’aisance et de liberté. » Ainsi on se laissait tout doucement aller à la pente commune, on abandonnait le paradoxe pour les idées bourgeoises ; on reprenait la queue. C’est un peu l’histoire de chacun. Qui n’a senti de ces velléités de lutte, de ces tendances provocatrices qui, sous quelques manifestations puériles qu’elles se trahissent, n’en existent pas moins au fond du cœur dans cette effervescence des premiers jours ? À la longue cependant, on s’aperçoit qu’on est tout seul de son parti ; peu à peu l’irrésolution s’en mêle, on se demande qui a raison, et dans le doute on fait comme Jean-Paul, on se range, on reprend la queue.

De là aux idées de mariage il semble qu’il n’y avait qu’un pas. Toutefois du côté du cœur Jean-Paul conservait toutes ses illusions, toutes ses vaporeuses rêveries. Un trouble secret, une incessante aspiration vers un idéal pressenti le possède et l’agite. S’il se promène au clair de lune, s’il voit au déclin d’un beau jour d’été le soleil se coucher dans sa gloire, à l’effusion de son enthousiasme un sentiment de regret succède presque aussitôt. Il cherche autour de lui une ame sœur de la sienne pour se répandre en cantiques d’amour au spectacle de ces magnificences de la nature. On comprend à quel point, en de pareilles heures, devait déborder du sein de Jean-Paul cette passion vague de l’infini, cette extase sans nom dans notre langue, et sur laquelle il faut pourtant bien revenir, lorsqu’il s’agit d’un Allemand de