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s’écriait Jean-Paul en s’attendrissant sur la destinée de cet enfant de son génie, quand sortiras-tu des sept tours où tu gémis en captivité ? quand verras-tu le monde, le beau Leipzig et sa rue des Libraires ? Hélas ! pauvre escargot, tu languis désormais dans la coquille du pupitre en attendant que le printemps te ranime ! Et dire, livre infortuné, que moi je ne puis rien, et que l’éditeur, qui peut tout, ne veut rien faire ! » Il était écrit que Jean-Paul viderait à cette occasion la coupe du désenchantement littéraire. Quand l’ouvrage parut, l’éditeur, qui ne se gênait guère pour traiter l’auteur en écrivain sans conséquence, l’oublia complètement dans la distribution des premiers exemplaires. Jean-Paul aimait passionnément à se voir imprimé, et cette naïveté assez commune aux gens qui débutent dans les lettres se perpétua chez lui jusqu’à la fin, avec tant d’autres sensations juvéniles dont cette ame essentiellement candide n’abdiqua jamais le partage. On comprend d’après cela quelle ardeur Jean-Paul dut mettre à relever l’oubli de l’arrogant libraire ; un zèle de néophyte ne l’égare point cependant, et c’est du ton le plus modeste qu’il revendique ses droits. « Je suis certes fort heureux que mon livre soit enfin sorti de l’œuf, mais le diable et moi le serions bien davantage, si vous consentiez à nous en envoyer quelques exemplaires ; nous avons à nous deux tant d’amis à qui nous voudrions l’offrir. » L’infortuné ne savait pas ce qu’il demandait, l’ouvrage arriva à la fin, mais criblé de fautes, rempli de contresens et de phrases tronquées. C’était bien la peine d’avoir attendu si long-temps, d’avoir tant supporté de déboires et d’humiliations pour qu’au jour de la publication tous les ennuis, toutes les tortures préliminaires fussent encore dépassés par la honte de voir son style si misérablement défiguré !

À ces tribulations littéraires vinrent se joindre des épreuves bien autrement douloureuses : d’abord Laurent de OErthel qui mourut, puis Hermann, les deux amis d’université, les deux figures mélancoliques et souffrantes entre lesquelles avait marché jusque-là sa jeunesse couronnée d’épines. « Quand mon frère périt[1], écrivait-il à cette époque, il me sembla que jamais pareil jour ne se lèverait pour déchirer encore mon cœur, et pourtant ce jour est venu. »

À la mort de OErthel, les liens les plus chers qui retenaient Jean-

  1. Son frère Henri, celui dont nous avons parlé plus haut, douce et noble nature, qui, voyant sa mère se débattre sous le faix du travail et de la misère, chercha la mort dans les flots pour soulager au moins d’autant celle qu’il sentait ne pouvoir efficacement secourir.