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qu’il agite et traduit dans sa veille inféconde en hiéroglyphes incompris dont nul ne veut, que nul ne paie. Jean-Paul en était là. Son premier livre avait échoué devant le public, partant point d’éditeur pour le second. Chaque jour cependant sa pénurie augmentait ; ses lettres contiennent à ce sujet les plus tristes révélations : « Je dois 2 thalers à ma table d’hôte, 10 thalers à l’homme qui me loge, etc., etc. ; mais, à tout prendre, ce n’est point encore là ce qui m’inquiète car je puis les faire attendre jusqu’à la Saint-Michel, époque à laquelle je ne puis manquer d’être en mesure de payer. » Illusion de poète qui rêve un éditeur et procède déjà comme s’il le tenait ! Quel auteur ne s’obstine à prendre pour de l’argent comptant le manuscrit qu’il garde en portefeuille ? Comment la Saint-Michel se passerait-elle sans lui fournir un éditeur ? Infailliblement à cette époque il paiera ses créanciers du produit de son livre. Aussi n’a-t-il point à se tourmenter de ses dettes ; ce qui l’inquiète, ce sont les menus frais de la vie usuelle, ces dépenses inévitables que chaque jour, chaque instant amène, réalités suprêmes, désastreuses, où vient se briser la baguette de la Fantaisie impuissante à mettre un écu sonnant dans la poche du pauvre diable à qui elle fait voir des mines d’or en perspective ; ce qui l’inquiète, c’est la blanchisseuse qu’il faut payer chaque semaine, c’est la laitière qui ne veut plus continuer à lui fournir son déjeuner, c’est le tailleur qui refuse de rajuster son vieil habit noir à crédit. Quel secours implorer dans une telle extrémité ? à qui s’adresser ? À sa mère ? Hélas la pauvre femme ! elle-même aurait eu besoin qu’on vint à son aide. Outre Jean-Paul, qui puisait dans sa bourse autant qu’il le pouvait, la digne femme avait encore d’autres enfans qu’elle assistait de ses faibles moyens : Adam, d’abord barbier à Schwarzenbach, puis soldat, et qui finit par mal tourner, et Henri, malheureux jeune homme qui se noya pour ne plus être à charge à sa mère. On le voit, de cruelles épreuves attendaient l’écrivain à l’entrée de la vie.

Sur ces entrefaites, Jean-Paul était revenu à Leipzig, inébranlable dans ses projets, résolu à dompter la fortune à force de persévérance et d’entêtement. Comme on le suppose, la Saint-Michel n’amena point de libraire. Vainement les auteurs en renom intercédèrent pour lui, vainement il offrit son ouvrage de porte en porte ; nul n’osait se décider à faire cause commune avec un écrivain original sans doute, mais dont l’originalité tardait bien à réussir, et les Papiers du Diable, composés à cette époque, ne furent publiés que sept ans après. Le vieux Vogel ne s’était pas trompé en lui écrivant, sur le simple examen du manuscrit des secondes satires : « Votre livre ne