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et de jeunesse, Gymnasium, — Universitäts, — und Jugendfreunde, et tout cela nous le sommes encore après bien des années, je l’espère du moins, quoique l’un de nous soit mort déjà depuis long-temps. Le riche et maladif jeune homme consumait alors ses soirées, encombrées de travaux académiques, à copier pour l’impression les manuscrits de son robuste, mais pauvre ami ; car celui-ci, en dépit de la main la plus nette, désespérait en vrai littérateur novice, de pouvoir jamais écrire assez lisiblement pour le prote. Aujourd’hui, quand j’y pense, je comprends à peine comment je consentis à un si long sacrifice de sa part. — Mais c’était alors le temps de la première amitié, temps où l’on reçoit tout sans compter, parce qu’on se sent prêt à tout donner de même. Temps heureux ! non, vous n’avez pas fui pour jamais dans l’éternité, votre élément divin ; il nous reste de vous encore à tous de belles heures, et moi je veux les employer, ces heures, à aimer l’ami qui me viendra plus tard comme s’il était pour moi un ami de jeunesse, et à me souvenir de ce noble OErthel qui m’a quitté si tôt. »

Ce fut vers cette époque et sous l’influence de ces dispositions sentimentales, qu’il entreprit ses Exercices en matière de pensée (Uebungen im Denken), titre bizarre d’un plus bizarre ouvrage, et dont il publia les deux premières livraisons à Hof, en novembre et décembre 1780, et la troisième à Leipzig, en 1781. « Ces essais, dit-il dans un avis placé en tête, sont tout simplement composés pour moi. Je ne les ai point faits dans le but d’apprendre aux gens quoi que ce soit de neuf, mais seulement afin de m’exercer et de me mettre à même d’y arriver quelque jour. On trouvera que je me contredis et déclare faux mainte fois ce que j’avais d’abord donné pour vrai ; mais que voulez-vous ? on est homme, et par conséquent point toujours le même. » Jamais parole ne fut plus vraie ; la contradiction avec lui-même, avec le monde, avec tout ce qui, de près ou de loin, le touche, voilà le fonds du caractère de Jean-Paul. Sous ce rapport, il est homme et jeune homme jusqu’à la fin. Je ne conseille pas aux biographes qui veulent des héros d’une seule pièce de s’adresser jamais à celui-ci. Qu’en feraient-ils, bon Dieu ? Les conditions de l’art classique (et l’égalité d’humeur dans un sentiment donné en est une) n’ont rien à voir dans cette nature, qui ne procède guère que par boutades et soubresauts, qui passe du gai sourire à la mélancolie la plus sombre, de la misanthropie à l’attendrissement, tout cela de la meilleure foi du monde, sans se douter qu’un sentiment parfaitement contraire à celui qui l’absorbe va s’emparer d’elle une heure après. Vous verrez ses yeux fondre en larmes au souvenir de l’excellent camarade qu’il a