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L’ÎLE DE RHODES.

sodes de cette iliade chrétienne ; les jours de foi et de chevalerie n’étaient plus : l’Angleterre devenait protestante ; François Ier et Charles-Quint se disputaient l’Italie ; le pape avait le casque en tête ; l’ordre abandonné succomba et s’en fut languir à Malte jusqu’au jour où, délaissé de nouveau, il fut chassé de son dernier refuge par l’Angteterre, qui put inscrire devant le palais de Lavalette cette inscription deux fois menteuse : Cette île a été donnée à l’invincible Angleterre par l’Europe reconnaissante.

Rien ne troublait ma rêverie. La chaleur était excessive : les îles, les rochers de l’Anatolie nageaient dans des vapeurs ardentes, aucun souffle ne passait dans l’air embrasé ; c’était l’heure du milieu du jour où dans ce pays inondé de lumière le soleil fait languir la terre, l’homme, les fleurs, les animaux, et jusqu’à la vague qui expire au rivage. J’étais seul, les regards attachés sur la mer de Syrie, bleue tout entière comme la vaste coupole du ciel ; aucun nuage ne flottait dans l’espace, aucune voile ne paraissait à l’horizon ; l’onde et l’éther, océans rivaux, libres comme au premier jour, s’étendaient dans l’immensité. Vers l’ouest, une ombre couvrait les flots, l’ombre du mont Ida ; à l’est étincelait Chypre ; devant moi fuyait la chaîne du Taurus avec ses cimes couvertes de neiges éternelles, et là-bas, enfin, si j’avais eu des ailes, j’aurais été en peu d’heures me reposer sous les cèdres du Liban. Que de grands souvenirs, de royaumes détruits se pressaient autour de moi : l’Asie, l’ancienne Grèce, Rome, Byzance, Venise ! Plus près de moi, je découvrais la ville de Rhodes, et cette Tour des Chevaliers dont les créneaux semblent réclamer le vieil étendard qu’ils ont gardé les derniers. Qu’on ne s’étonne pas si je pensai alors avec quelque regret à la destruction de ces ordres monastiques et militaires fondés autrefois pour faire la guerre aux mahométans, et détruits sans avoir pu concilier leur mission avec les exigences d’un autre temps. La police des mers, qui soulève trop souvent d’irritans débats entre les puissances maritimes, n’aurait-elle pas été bien placée entre les mains d’un ordre qui, comme celui de Rhodes, échappait à l’influence d’un état quelconque en recevant dans son sein des chevaliers de toutes les nations ? Quels services ne rendrait pas à l’Europe une gendarmerie active et désintéressée, qui mettrait sa gloire à défendre la sécurité des mers ? Aujourd’hui la Méditerranée, l’Océan, sont couverts de citadelles flottantes devant lesquelles fuient les écumeurs de mer ; mais les navires français, anglais, américains, n’ont pas et ne peuvent avoir la mission spéciale de les poursuivre. Chaque état, pendant la paix, envoie ses vaisseaux protéger ses nationaux en pays étranger,