Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/805

Cette page a été validée par deux contributeurs.
801
ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

principe même de la constitution britannique, soit qu’il propose d’en appeler aux moyens de clémence et de conciliation, soit qu’avec une assurance vraiment prophétique il prédise l’impuissance d’un recours à la force, le succès de la résistance d’un peuple défendant une cause juste et sainte, le parti que saura en tirer la maison de Bourbon pour venger sur l’Angleterre affaiblie ses anciennes défaites, soit enfin que, dans l’entraînement d’une indignation généreuse, il flétrisse ces mercenaires allemands vendus par leurs méprisables princes pour aller défendre au-delà des mers les intérêts d’un despotisme étranger, ou qu’il dénonce à l’horreur publique la conduite des autorités anglaises excitant contre les insurgés, contre des compatriotes, la férocité de l’indien sauvage, Chatham, exalté par la grandeur du sujet, se surpasse en quelque sorte lui-même et se place au niveau des grands orateurs de l’antiquité dans ce qu’ils nous ont laissé de plus éclatant.

Il faut le reconnaître pourtant : dans cette grande lutte, où la supériorité de son intelligence, sa sagacité, son éloquence, brillèrent d’une si vive splendeur, il ne sut pas complètement se soustraire aux préjugés de ses contemporains. Plus d’une erreur capitale faussait essentiellement le jugement qu’il portait sur la question américaine. Il crut long-temps, par exemple, que la prétention du parlement britannique de taxer les colonies, occasion première de leurs agitations, en était aussi la cause fondamentale, qu’il suffirait de l’abandonner pour les rendre à la tranquillité et que, comme l’affirmaient les colons, comme beaucoup d’entre eux le croyaient encore alors, la pensée de l’indépendance était tout-à-fait étrangère à leurs mouvemens. Pénétré de la conviction qu’ils ne pouvaient, en leur qualité de sujets anglais, être imposés que par leurs propres représentans et non par la chambre des communes où ils n’avaient pas de députés, mais qu’ils étaient d’ailleurs soumis, sous tous les autres rapports, à l’autorité législative du parlement, lord Chatham perdait de vue cette grande vérité, ce secret des gouvernemens libres, que le droit de s’imposer soi-même est surtout précieux par ses conséquences indirectes, et parce que tôt ou tard la force des choses en fait découler la liberté absolue de celui qui l’exerce. Il ne voulait pas voir qu’il est, pour les colonies, un degré de prospérité qui rend impossible la continuation de leur état de dépendance, lorsque cette prospérité repose sur des causes naturelles et intrinsèques, et non pas sur des combinaisons factices liées à leur dépendance même, lorsque d’ailleurs la population qui les habite est douée d’une civilisation et d’une force morale suffisantes pour la mettre en état de se donner un gouvernement. Sous