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d’indépendance, et mon âge ne m’en empêcherait même pas, si des considérations d’une extrême gravité ne me retenaient ici. »

En constatant ces tristes écarts, qu’excuse jusqu’à un certain point, qu’explique au moins la double irritation des souffrances physiques et de l’ambition déçue, il est une justice que l’on doit rendre à lord Chatham : c’est que l’esprit de parti ne l’entraîna jamais jusqu’à chercher à affaiblir l’administration en refusant au gouvernement les moyens de se faire respecter au dehors. Au moment même où il usait de toute son influence sur la Cité de Londres pour la pousser dans les voies d’une opposition de plus en plus violente, quelques aldermen, sous prétexte de repousser un acte d’oppression, imaginèrent de mettre obstacle à la presse maritime qui venait d’être ordonnée, suivant l’usage, dans le but d’équiper une escadre. On était alors au plus fort de la querelle engagée avec l’Espagne au sujet des îles Falkland ; la guerre se présentait comme possible, comme probable même, et on pouvait craindre que la France ne joignit ses forces à celles de l’Espagne. Le patriotisme de lord Chatham s’émut d’une tentative qui compromettait, dans de telles conjonctures, la supériorité navale de la Grande-Bretagne. Non-seulement il s’efforça de décider les aldermen à s’en désister, mais, au risque de se dépopulariser, il déclara en pleine chambre des lords que, si l’on proposait d’appeler à la barre les magistrats coupables de cet attentat à la sûreté et à la puissance nationales, il voterait pour la proposition.

En dépit de toutes les attaques parlementaires, en dépit des émeutes qu’elles provoquaient parfois, le ministère restait debout. Son nouveau chef, lord North, dont tout le monde à son avénement prédisait la chute prochaine, avait pourtant retrouvé le secret d’une stabilité que le pouvoir ne connaissait plus. Homme d’expérience et de pratique plutôt que d’un génie élevé, financier habile, doué, sinon d’un grand éclat d’éloquence, au moins d’un rare talent de discussion et d’un sang-froid, d’une égalité d’humeur que rien ne pouvait déconcerter, portant dans ses relations avec les individus un charme de manières, un don d’insinuation qui ne laissait aucune place à la malveillance personnelle, il était parvenu à acquérir dans la chambre des communes une influence presque égale à celle que Walpole y avait jadis exercée. Il y avait créé peu à peu une de ces majorités permanentes sans lesquelles il est à peu près impossible de gouverner avec efficacité, parce que, sans elles le gourvernement n’est jamais sûr de son lendemain. L’esprit qui animait cette majorité, le système du cabinet qu’elle soutenait, étaient sans doute peu conformes aux instincts de gloire et de