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grands criminels, il leur reprocha de se montrer plus jaloux de l’honneur de l’Espagne, coupable de provocation, que de celui même de l’Angleterre offensée. Il se livra contre la nation espagnole aux plus sanglantes, aux plus incroyables invectives. « Je connais bien, dit-il, le caractère de cette nation, en tant au moins qu’elle est représentée par sa cour et par ses ministres, et je croirais déshonorer mon pays en comparant la bonne foi britannique à ce point d’honneur espagnol tant vanté. Le peuple anglais est un peuple franc et loyal ; les Espagnols sont aussi vils, aussi astucieux qu’orgueilleux et insolens. J’ai été souvent obligé de traiter avec leurs ministres, et jamais, dans leurs procédés, je n’ai rien trouvé qui ressemblât à de la droiture ou à un sentiment de dignité, rien qu’une basse astuce et de misérables mensonges. » Après cette outrageante sortie, lord Chatham protesta pourtant qu’il ne voulait pas la guerre, mais une paix honorable et solide, et non une apparence de rapprochement au moyen de ridicules expédiens qui pourraient tout au plus retarder la guerre de quelques mois. Il reprocha au ministère d’altérer les faits, de tromper le public pour endormir les esprits justement exaspérés, et d’avoir, dans ce but, fait répandre le faux bruit que le cabinet de Madrid avait désavoué ses agens. Rentrant ensuite dans ces généralités où se complaisait son éloquence, il accusa les dépositaires du pouvoir de s’être rendus coupables du plus grand crime qu’ils pussent commettre envers leur pays en y semant la désaffection et la discorde par une suite de mesures inconstitutionnelles autant qu’oppressives, et d’avoir, par la lenteur et la faiblesse de leurs préparatifs, livré l’Angleterre sans défense aux attaques de la maison de Bourbon. Il s’écria que, si les chambres persistaient dans leur inaction, si cette maison savait profiter de ses avantages, l’Angleterre, hors d’état de lutter sans alliés contre la France et l’Espagne, était irréparablement perdue, qu’avant un mois elle ne serait plus une nation ; que dans un tel état de choses il croyait remplir un devoir en sonnant l’alarme, en excitant l’esprit public, en tirant, s’il se pouvait, de leur engourdissement les ministres, le roi lui-même ; qu’enfin il ne restait d’autre moyen de salut que de calmer de trop justes mécontentemens, de mettre fin à la déplorable influence des hommes d’argent, de rappeler de la retraite où on les avait relégués les chefs de ces grandes familles whigs auxquelles la maison de Hanovre devait sa couronne, et de former avec leur concours une administration populaire, établie, non plus sur de simples liaisons de parenté ou d’amitié, mais sur des bases larges et nationales (13 novembre 1770).