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commença la lutte. Le jour de l’ouverture de la seconde session qui suivit sa sortie du conseil, il prit la parole contre le projet d’adresse en réponse au discours du trône (janvier 1770). Après avoir déploré l’injustice et la maladresse de la politique suivie à l’égard des colonies dont il excusa les torts sans prétendre les justifier complètement, il s’attacha surtout à faire ressortir l’irrégularité de la mesure prise par la chambre des communes pour l’exclusion de Wilkes ; il soutint qu’en inquiétant la nation sur la conservation de ses franchises, elle créait de très grands dangers pour le maintien de l’ordre ; il proposa d’insérer dans l’adresse un amendement conçu dans le sens de ces observations. Lord Mansfield ayant objecté qu’une chambre n’était pas autorisée à s’immiscer dans les actes intérieurs d’une autre branche de la législature, et que se permettre une telle intervention ce serait s’exposer à une collision fâcheuse, lord Chatham, animé par la contradiction, combattit avec une indignation éloquente un système qui, suivant lui, ne tendait à rien moins qu’à permettre à un seul des pouvoirs de l’état de priver un sujet anglais de ses droits les plus précieux et à investir les communes du pouvoir arbitraire enlevé jadis à la royauté. Néanmoins l’adresse fut adoptée telle quelle avait été proposée, et le chancelier lord Camden, ami de lord Chatham, avec qui il avait voté en cette circonstance, fut destitué.

Peu de jours après, un débat plus sérieux s’engagea devant la chambre des lords. Le marquis de Rockingham demanda la formation d’un comité pour prendre en considération l’état du royaume. Dans les développemens par lesquels il appuya son opinion, il traça un tableau rapide de la marche suivie par le gouvernement depuis la mort de George II ; il la montra constamment dirigée par la volonté de faire prévaloir un principe fatal à la liberté, celui que la prérogative royale suffit à elle seule pour soutenir le pouvoir, quelles que soient les personnes chargées de l’administration. Le duc de Grafton, chef du cabinet, sans s’opposer à la discussion approfondie demandée par le marquis de Rockingham, essaya de réfuter immédiatement quelques-unes de ses attaques. Lord Chatham se leva ensuite pour répondre à son ancien collègue. Le discours qu’il prononça en cette occasion est un des plus brillans et des plus violens tout à la fois qui soient sortis de sa bouche. Parlant des troubles qu’avaient excités les persécutions dirigées contre Wilkes, « la constitution, dit-il, a été violée. Si la brèche qu’on y a faite est réparée, le peuple rentrera de lui-même dans un état de tranquillité. Si elle ne l’est pas, puisse la discorde régner à jamais ! Si les serviteurs du roi ne permettent pas qu’une