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y introduisant quelques-uns des amis du duc de Bedford, le fortifièrent un peu et prolongèrent son existence, qui semblait sur le point de finir par épuisement.

Formé ainsi des déserteurs, et, à quelques exceptions près, des hommes médiocres de tous les partis, en butte aux attaques de deux oppositions dont l’une était dirigée par le froid et prudent George Grenville, tandis que l’autre avait pour interprète la fougeuse éloquence de Burke, le ministère retomba promptement dans une situation plus difficile que jamais. Le revenu public décroissait, le commerce était en proie aux convulsions d’une crise prolongée. Les colonies, révoltées contre le bill imprudent de Charles Townshend, étaient en scission presque complète avec la métropole. En Angleterre même, les émeutes se multipliaient. Wilkes, depuis long-temps réfugié sur le continent, venait de reparaître à Londres, au mépris des jugemens qui le frappaient. Bravant un gouvernement faible qui n’avait su se déterminer ni à gagner sa facile vénalité ni à invoquer à temps contre lui l’action des lois, il enflammait le peuple par ses pamphlets et ses discours incendiaires, il se faisait élire député au parlement.

Tout absorbée par ces tristes querelles, l’Angleterre avait cessé de peser dans la balance de la politique européenne. Elle laissait le gouvernement français prendre possession de la Corse, et le secrétaire d’état lord Shelburne, qui voulait s’y opposer, ne pouvant obtenir à cet effet l’assentiment de ses collègues, se voyait forcé de donner sa démission. Cependant lord Chatham était toujours membre de ce cabinet, dont les actes démentaient si complètement sa politique. Bien qu’il n’y prît depuis long-temps aucune part, et que l’opinion publique se complût à voir, dans sa retraite absolue, moins encore l’effet de la maladie que celui d’un dissentiment profond, les chefs du gouvernement attachaient toujours beaucoup de prix à conserver l’appui de son nom. On en avait vu un peu auparavant une preuve singulière. Il s’était présenté une de ces rares circonstances où l’intervention directe et personnelle du gardien du sceau privé est indispensablement requise. La santé de lord Chatham ne lui permettant pas d’exercer cette intervention, six semaines s’écoulèrent en délibérations et en recherches sur les moyens d’y suppléer. On finit par s’arrêter à un bizarre expédient : lord Chatham donna sa démission, des commissaires furent nommés pour le remplacer, et, lorsqu’ils eurent accompli l’acte nécessaire, il fut de nouveau appelé à l’emploi dont il venait de se démettre.

Si l’on comprend sans peine l’intérêt qu’avaient les autres minis-