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parti de l’opposition, de la liberté, et portait dans ce tardif noviciat une ardeur factieuse qui surprenait étrangement ses amis comme ses ennemis. Pitt, maître absolu de la Cité, où il venait de faire élire un maire à sa dévotion, soulevait l’opinion contre la marche suivie par le gouvernement. Le ministère était hautement accusé d’avoir terminé une guerre glorieuse par un traité déshonorant dans lequel on voulait voir l’œuvre de la corruption. Les retranchemens de dépenses qu’il avait dû opérer, après la paix, dans un but d’économie, les nouveaux impôts qu’il avait créés pour rétablir l’équilibre dans les finances, augmentaient le mécontentement de ceux-là même qui avaient voulu la guerre, dont ces rigoureuses mesures étaient la conséquence forcée. Enfin le grand grief qui planait par dessus tous les autres, c’était l’influence d’un favori odieux aux grandes familles parce qu’il encourageait dans le roi la volonté de secouer leur joug, odieux au peuple par sa qualité d’Écossais, par ses préférences vraies ou supposées pour les Bretons du nord, que les Bretons du midi ne s’étaient pas encore habitués à considérer comme des compatriotes.

C’est à cette époque qu’on vit s’opérer une modification remarquable dans la physionomie des partis. Depuis long-temps, je l’ai déjà dit, il n’y avait plus en Angleterre de luttes sérieuses d’opinions et de principes, et les partis n’étaient plus que des agrégations de familles puissantes luttant les unes contre les autres pour s’arracher le pouvoir, sans autre drapeau, sans autre point de ralliement, que quelque question de circonstance, sur laquelle même on les voyait souvent varier, suivant les vicissitudes de leur position. Trop fortes contre la royauté pour avoir besoin des secours dangereux de la multitude, elles dédaignaient de flatter ses passions, et Pitt lui-même, en faisant appel à l’exaltation du sentiment national, s’abstenait de provoquer les instincts de liberté démocratique. Lorsque l’anéantissement du parti jacobite eut achevé d’affermir le trône, les choses changèrent d’aspect. George III aspirait sans déguisement à étendre sa prérogative, à briser les entraves dans lesquelles une oligarchie impérieuse avait enchaîné ses deux prédécesseurs ; pour déjouer cette tentative, l’aristocratie comprit la nécessité de se ménager des auxiliaires. Elle chercha à s’assurer la faveur du peuple, en prenant, comme à d’autres époques, la défense de la liberté et des droits de la nation ; elle saisit, elle fit naître les occasions d’engager le combat sur ce nouveau terrain. Sans doute, sous ces apparences nouvelles et grandioses, c’était encore d’intérêts bien étroits, bien personnels qu’il s’agissait ; mais le peuple prenait naturellement au sérieux ce qui n’était qu’un prétexte pour