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Newcastle depuis long-temps mécontent de l’ascendant que prenait le ministre favori et du rôle de plus en plus secondaire auquel il se trouvait lui-même réduit malgré son rang, son âge, sa position officielle de chef du cabinet, saisit avec empressement l’occasion de donner à sa retraite le prétexte spécieux d’un dissentiment sur une question de dignité nationale. Lui, qu’on avait vu pendant quarante ans subir sans murmurer, dans la conduite des affaires, les variations des influences les plus opposées, il protesta contre l’abandon de la politique suivie à l’égard de la Prusse, contre ce qu’il appelait un manque de foi, et, ne pouvant faire prévaloir son opinion, il donna sa démission sans vouloir accepter la pension qu’on lui offrait pour le dédommager de la diminution de son immense fortune, dépensée en grande partie au service de l’état ou plutôt des coteries parlementaires. Lord Bute devint alors premier lord de la trésorerie, et George Grenville lui succéda en qualité de secrétaire d’état (mai 1762).

Lord Bute, délivré ainsi de tout ce qui faisait obstacle à ses projets pacifiques, se hâta d’en profiter pour rouvrir les négociations. La paix, également désirée par les cabinets de Paris, de Londres et de Madrid, devait être bientôt conclue. Elle le fut en effet. Par le traité de Versailles, la France céda à l’Angleterre à peu près ce qu’elle lui avait offert avant ses derniers désastres, et renonça de plus à la restitution des bâtimens pris antérieurement à la guerre. L’Espagne recouvra Cuba et Manille en cédant la Floride, dont la France l’indemnisa d’ailleurs par l’abandon de la Louisiane. Bientôt après, l’Autriche et la Prusse conclurent aussi à Hubertsbourg un traité qui, à leur grand déplaisir, remit toutes choses exactement sur le même pied qu’avant les hostilités, et le monde fut pacifié.

Quelque grands que fussent les avantages recueillis par l’Angleterre pour prix de ses victoires, Pitt avait habitué ses compatriotes à concevoir de si hautes espérances, que ces conditions furent généralement accueillies avec très peu de faveur. Lorsqu’on présenta à l’approbation de la chambre des communes les articles préliminaires du traité de Versailles, Fox ayant proposé d’y adhérer par le vote d’une adresse de remerciement, Pitt prit la parole pour s’y opposer. Bien qu’il fût alors tellement souffrant, que, pour se tenir debout, il dut s’appuyer sur deux de ses amis, il parla pendant trois heures avec l’énergie et l’éloquence qui ne lui faisaient jamais défaut. Il déclara qu’au prix des plus cruelles douleurs, peut-être même au péril de sa vie, il avait voulu venir protester contre un acte par lequel le gouvernement avait effacé tout l’éclat d’une guerre glorieuse, sacrifié les plus chers inté-