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dant aux conseils du duc de Newcastle, il lui fit offrir de reprendre le ministère aux conditions qu’il voudrait fixer.

Pitt, cette fois, n’abusa pas de sa victoire. L’expérience de l’année précédente lui avait appris le danger de jeter dans l’opposition un grand nombre de personnages considérables que leur mécontentement devait tôt ou tard entraîner à devenir contre lui les instrumens d’une cour malveillante. Il résolut de les comprendre tous dans son administration, où, après ce qui s’était passé, il était bien sûr de les dominer, où ils lui prêteraient l’appui de leurs talens et de leur influence sans pouvoir être tentés d’attaquer le dictateur populaire qui, tout puissant par le vœu national, consentait à les avoir pour collègues. Le duc de Newcastle, ce membre nécessaire de tous les cabinets, fut rétabli dans ses fonctions de premier lord de la trésorerie, lord Granville conserva celles de président du conseil ; lord Anson reprit la direction de l’amirauté ; Fox, déchu de ses prétentions à un rôle principal, mais réduit par le désordre de ses affaires à la triste nécessité de chercher dans les emplois publics un moyen d’existence, accepta avec reconnaissance, de celui dont il avait été un moment le rival, le poste secondaire, mais lucratif, de payeur-général de l’armée. Pitt lui-même redevint secrétaire d’état ; Legge, chancelier de l’échiquier ; lord Temple obtint la garde du sceau privé, une de ces sinécures qui donnent l’entrée du conseil. Ces deux derniers avec George et James Granville, le premier trésorier de la marine, l’autre l’un des lords de la trésorerie, composaient, dans la nouvelle administration, le parti plus particulièrement dévoué au secrétaire d’état.

II.


Nous voici arrivés à la plus brillante époque de l’existence de Pitt, à cette période de quatre années qui devait lui assigner, parmi les hommes d’état de la Grande-Bretagne, le rang qu’il tenait déjà parmi ses orateurs. Condamné par les circonstances à user jusqu’à cinquante ans toutes les puissances de son génie et de son talent dans ces combats de tribune, dans ces luttes parlementaires dont l’éclat trompeur et les entraînantes séductions cachent souvent tant de stérilité réelle, il allait prouver que son esprit ne s’y était ni faussé, ni rétréci ; que dans ses attaques violentes, injustes même contre ses prédécesseurs, il avait été inspiré par une plus noble passion que le désir pur et simple de