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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

ranimer l’amour presque éteint de la vertu et du pays, à raviver l’esprit militaire, à soutenir la gloire et l’indépendance de la Grande-Bretagne, à la faire respecter de l’étranger, à concilier l’honneur et les vrais intérêts de la couronne avec les droits et les intérêts du peuple, à assurer ainsi au roi et à sa famille l’affection d’une nation libre. Un grand nombre de cités s’empressèrent de décerner le droit de bourgeoisie aux deux ministres destitués, et de leur envoyer dans des boîtes d’or le titre qui le leur conférait. L’enthousiasme dont ils étaient l’objet n’était égalé que par la fureur qui animait presque tous les esprits contre les auteurs connus ou présumés de leur disgrace. Ni le roi ni ses dangereux conseillers ne s’étaient attendus à une pareille explosion. Ce qui est presque incroyable, c’est qu’en s’attaquant à un ministère aussi puissant que celui qu’ils venaient de renverser, ils n’étaient pas même convenus des moyens de le remplacer. Lord Winchelsen et lord Mansfield avaient bien accepté l’héritage de lord Temple et de Legge ; mais Pitt lui-même n’avait pas de successeur, et en présence des manifestations de l’opinion publique, il devenait presque impossible de trouver des hommes assez courageux ou assez aveugles pour braver une telle irritation.

Le roi avait cru pouvoir compter sur le concours du duc de Newcastle et de Fox. Le duc, trop timide pour se jeter dans de telles témérités et d’ailleurs mécontent de Fox, refusa de se mettre à la tête d’une nouvelle combinaison ministérielle. Déconcerté dans cette première tentative, le roi fit porter à Pitt la proposition d’un arrangement qui, en lui rouvrant l’entrée du conseil, l’eût pourtant obligé à partager le pouvoir avec d’autres influences. Lord Temple, objet de l’aversion particulière du roi, n’y devait pas trouver place. Pitt refusa de se séparer de lui. Sans se laisser décourager par ces échecs successifs, George II imagina alors de former un cabinet dans lequel, sous la direction de lord Waldegrave, son favori, se seraient réunis Fox, le duc de Bedford, lord Granville et lord Winchelsea mais Fox et le duc de Bedford reculèrent devant un arrangement qui n’offrait aucune chance de succès. — Près de trois mois s’étaient écoulés dans ces tâtonnemens infructueux. Au milieu des circonstances si graves qui agitaient alors l’Europe, l’opiniâtreté la plus aveugle ne pouvait se faire illusion sur la nécessité impérieuse de mettre fin à un tel état de choses en recourant à la seule force qui fût capable de tirer l’Angleterre des embarras où on l’avait jetée. Le roi reconnut enfin, non sans verser des larmes de dépit, qu’il fallait subir le joug de Pitt. Cé-