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général, le second chancelier de l’échiquier, attaquèrent vivement les traités de subsides conclus par le roi. Pitt surtout parut complètement oublier qu’il appartenait encore à l’administration. Revenant à ses anciennes déclamations contre l’influence de l’intérêt hanovrien, accablant les ministres des traits les plus acérés, ne ménageant pas même le duc de Cumberland, il s’efforça de montrer une banqueroute nationale comme l’infaillible conséquence de la politique qu’on voulait adopter sous le vain prétexte de maintenir la balance du pouvoir et la liberté de l’Europe. Jamais on ne l’avait vu plus éloquent, plus vif, plus incisif, plus hardi ; jamais il n’avait porté plus loin cette puissance de sarcasme qui le distinguait si éminemment. Avant de prendre une telle attitude, il eût été plus loyal à Pitt et à son ami de donner leur démission ; mais leur calcul était sans doute de forcer le pouvoir à se dépopulariser en les destituant. Ce calcul ne fut pas trompé. — Le ministère reçut une nouvelle organisation. Sur la démission concertée de sir Thomas Robinson, qu’on pourvut d’une pension et d’une place de cour, Fox, déjà membre du cabinet, fut enfin nommé secrétaire d’état. Pitt et Legge furent congédiés, aussi bien que les Grenville. Lyttleton, se séparant des hommes avec lesquels il avait jusqu’alors marché, devint chancelier de l’échiquier.

Le cabinet ainsi reconstitué fut appelé le ministère du duc, parce qu’il avait été composé sous le patronage du duc de Cumberland. Par son union, par les talens de plusieurs de ses membres, par la faveur dont il jouissait à la cour, il semblait réunir de grands élémens de force et de durée. Néanmoins il se trouva frappé dès les premiers jours d’un extrême discrédit, dû au principe même de sa formation et à l’hostilité de Pitt, dont la popularité ne cessait de s’accroître, bien qu’on eût été un peu choqué de le voir accepter, en quittant les affaires, une pension de mille livres sterling. La chambre des communes vota pourtant les subsides demandés en faveur de la Russie et de la Hesse, mais ce ne fut pas sans une vive discussion, dans laquelle Pitt redoubla de véhémence pour combattre les propositions du gouvernement. Tout en reconnaissant que les intérêts hanovriens devaient être pris en considération par la politique britannique, il s’indigna contre ceux qui voulaient en faire l’objet principal de cette politique, sans s’inquiéter de précipiter le pays dans une inévitable banqueroute. Il exprima le regret de ne pas avoir la force nécessaire pour briser les fers qui liaient l’Angleterre à l’électorat comme un autre Prométhée à un roc stérile. Il prétendit que, dans les circonstances où l’on