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avec une chaleur extrême la demande d’une dotation de vingt-cinq mille livres sterling en faveur du duc de Cumberland, le fils favori du roi, qui venait de mettre fin, par la victoire de Culloden, à l’audacieuse entreprise de Charles-Édouard. Ces services ne restèrent pas sans récompense. Trois mois après la nomination de Pitt à la vice-trésorerie de l’Irlande, le poste de payeur-général de l’armée vint à vaquer : il lui fut donné aussitôt.

Cet emploi, considéré comme le plus important après ceux des membres même du cabinet, était d’ailleurs alors un des plus lucratifs, le plus lucratif peut-être de tous. Par un abus inconcevable, mais qu’une longue pratique avait en quelque sorte sanctionné, le payeur-général était autorisé à faire valoir pour son compte une somme de cent mille livres sterling, versée d’avance dans sa caisse pour les besoins de l’armée. Bien que cet abus eût plus d’une fois entraîné des conséquences très fâcheuses, il n’était l’objet d’aucune réclamation. Pitt en comprit toute l’énormité. Il y mit fin en envoyant les fonds de sa caisse dans celle de la banque, qui, les gardant sans en payer aucun intérêt et à titre de simple dépôt, devait être naturellement en mesure de les restituer au moment même où ils seraient réclamés pour les nécessités du service. Par cette réforme, il se priva spontanément d’un revenu annuel de trois ou quatre mille livres sterling. Un autre usage de cette époque, c’était que sur les subsides accordés aux gouvernemens étrangers le payeur-général reçût de ces gouvernemens une gratification assez considérable. Pitt refusa aussi de toucher cette gratification lorsqu’elle lui fut offerte. Pour bien apprécier la noblesse d’une telle conduite, on ne doit pas oublier que sa fortune se composait alors presque uniquement du legs de la duchesse de Marlborough, et que les bénéfices auxquels il renonçait, quelque irréguliers, quelque choquans qu’ils nous paraissent aujourd’hui, n’avaient pas ce caractère aux yeux de ses contemporains, habitués à y voir le complément légitime des émolumens attachés à son emploi. De pareils procédés expliquent peut-être, autant que la supériorité de ses talens, l’immense popularité dont il jouissait et l’impuissance où se trouvèrent constamment ses nombreux adversaires d’y porter aucune atteinte sérieuse, malgré les fréquentes variations de sa politique. On ne pouvait pas attribuer ces variations à des calculs sordides, et ces calculs sont la seule chose que l’opinion, si indulgente pour les égaremens des passions, ne pardonne pas aux hommes publics.

Investi de toute la faveur populaire, possédant au plus haut degré celle de la chambre des communes, Pitt était, de la part des ministres,