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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

d’hui, ce qu’attestent pourtant tous les mémoires du temps, c’est que cette expédition, si elle eût eu lieu, aurait probablement opéré une contre-révolution, non pas que le parti jacobite eût alors dans la Grande-Bretagne une de ces immenses majorités numériques qui ne demandent un point d’appui pour se manifester et tout entraîner après elles, mais par l’effet de l’absence complète d’esprit public, de la lassitude des partis, du dégoût universel qu’inspiraient les perpétuelles variations de leurs chefs, en un mot de l’immoralité politique qui peut-être est l’inévitable résultat des longues crises révolutionnaires. L’armée anglaise était peu nombreuse et presque tout employée sur le continent. La population n’était nullement disposée à s’armer pour la remplacer, et telle était la situation qu’au dire d’un des principaux officiers-généraux de cette époque, le maréchal Wade, cinq mille Français débarquant sur un point de la côte eussent conquis l’Angleterre sans avoir à livrer une seule bataille, à moins que les forces hollandaises, dont le secours était promis au cabinet de Londres, ne fussent arrivées à temps pour les repousser.

En comparant un pareil état de choses à l’attitude que la nation anglaise prit quelques années après, pendant la guerre de sept ans, à celle qu’elle devait prendre un demi-siècle plus tard, en présence des formidables préparatifs d’invasion ordonnés par Napoléon, on apprend à ne pas trop s’affecter de l’affaiblissement momentané des forces morales d’un grand peuple, et à ne pas confondre une lassitude passagère avec une déchéance complète et définitive. — Heureusement pour l’Angleterre et pour la maison de Hanovre, d’autres préoccupations empêchèrent la France de donner suite à l’expédition projetée. C’est alors que le fils aîné du prétendant, l’héroïque Charles-Édouard, déçu dans ses espérances d’une puissante coopération étrangère, osa tenter presque seul la grande entreprise de la restauration des Stuarts. On sait ce qu’il put faire à la tête d’une poignée de montagnards écossais ; on sait à quel danger fut un moment exposé le gouvernement du roi George.

Le parlement avait été convoqué extraordinairement pour aviser aux moyens d’y faire face. Pitt appuya avec chaleur toutes les demandes du gouvernement. On avait proposé d’introduire, dans l’adresse par laquelle la chambre des communes protestait de son dévouement au roi, un amendement qui eût réclamé une extension des franchises électorales comme le meilleur moyen d’affermir le trône en lui conciliant l’affection des peuples. Pitt n’eut pas de peine à faire écarter une proposition qui, dans de telles conjonctures, ne pouvait que nuire