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du canal semble avoir été préparé par la nature. « Nous croyons, dit M. Lepère, qu’il n’y aurait que quelques parties de digues à construire jusqu’au Ras-el-Moyeh (c’est-à-dire sur la meilleure partie du parcours). Le désert s’élevant de toutes parts au-dessus de ce bas-fond, la navigation pourrait y être constante, et il serait facile d’y entretenir une profondeur plus considérable que sur le canal de Suez au Caire. » S’il était possible de créer un port auprès de l’ancienne Péluse, ce parti serait assurément le meilleur. Là gît la principale difficulté de la jonction des deux mers par l’isthme de Suez. M. Lepère pensait que, ce port une fois creusé sur le bord de la Méditerranée, on pourrait y opérer ce qu’on nomme des chasses, à l’aide des eaux de l’autre mer, qu’on ramasserait dans des bassins spacieux dont les Lacs Amers tiendraient lieu, et qu’on lâcherait ensuite de manière à nettoyer le chenal et à entraîner les sables que les courans auraient pu amener dans le port. Mais ces chasses n’auraient effet qu’autant qu’on aurait uni le canal au Nil, et qu’on y jetterait pendant les crues les eaux du fleuve. Le niveau du Nil étant fort élevé alors, les chasses auraient un courant d’une grande vivacité. L’illustre Prouy, qui a rendu compte officiellement du travail de M. Lepère, ne considérait pas le port comme impossible moyennant cette dernière précaution. C’est donc à examiner.

Il ne me paraît pas qu’il y ait d’autre moyen de percer l’isthme de Suez, dans l’intérêt du commerce général du monde, que de pratiquer un canal direct de Suez à la Méditerranée.

Jusqu’à ce que cet ouvrage ait été accompli, les marchandises iront d’Europe aux Grandes-Indes et en Chine sur des navires doublant le cap de Bonne-Espérance. Suez ne sera un point de passage que pour les voyageurs et les dépêches qui franchiront chacune des deux mers sur les ailes de la vapeur. En ce moment, on a quelquefois des nouvelles de Bombay à Paris en trente-un jours, malgré le temps perdu pour prendre du charbon à Aden et pour traverser l’isthme. Trente-un jours ! et les anciens en mettaient quarante pour parcourir la mer Rouge toute seule. Des améliorations nouvelles se préparent, et l’agent anglais qui a organisé ce service pour le compte de l’Angleterre, M. Waghorn, espère réduire le trajet à vingt-sept jours de Bombay à Londres. En 1774, les Anglais, pour la première fois, commencèrent à se servir de l’isthme de Suez pour le transport des dépêches des Indes. On put alors avoir des lettres de quatre-vingt-dix jours de date, et quand c’était de quatre-vingts jours on criait au miracle.