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content de les abandonner à la vengeance des whigs, avait-il employé toute son influence à les accabler. Leurs chefs, proscrits, traduits en justice ou réduits à prendre la fuite, n’avaient pu qu’à grand’peine sauver leur vie, et si le temps avait bientôt mis fin, pour les personnes, à cet état de proscription, le parti n’en était pas moins resté exclu de la direction des affaires et presque sans espoir d’y revenir autrement que par une révolution violente.

Les whigs dominaient donc sans partage ; mais, suivant l’immuable loi des passions humaines, ils s’étaient divisés aussitôt que leurs adversaires s’étaient trouvés hors de combat. À défaut de luttes de principes et d’opinions, les rivalités individuelles avaient suscité entre eux de misérables querelles, auxquelles, dans les premiers temps surtout, il était à peine possible d’assigner même un prétexte d’utilité générale. On avait vu, pendant plusieurs années, des ministres, tous sortis du sein de ce parti, se succéder les uns aux autres plutôt par l’effet de sourdes intrigues et selon les caprices des préférences royales qu’au gré des variations de l’esprit public. Après diverses vicissitudes, sir Robert Walpole, plus calme, plus patient, plus habile qu’aucun de ses rivaux, était enfin parvenu à fixer entre ses mains le pouvoir et à le garder même sous deux souverains successifs. Au moment où Pitt entra à la chambre des communes, il y avait déjà treize ans que durait ce ministère, qui tient une place si marquante dans les annales de la Grande-Bretagne.

Walpole a été l’objet de jugemens bien divers. Calomnié de son vivant comme tout homme qui occupe long-temps le pouvoir, il a trouvé depuis des appréciateurs trop indulgens peut-être. Je crois qu’on lui ferait justice en disant que, dans un temps où l’habitude des révolutions avait presque détruit toute morale politique, ce ministre, sans être à beaucoup près plus corrompu que ses contemporains, sans être même, il s’en faut, le plus corrompu d’entre eux, eut le malheur de fonder son système de gouvernement sur les vices mêmes de son siècle, qu’entendant à merveille les intérêts matériels et positifs de son pays, il ne comprit pas assez la nécessité de satisfaire aussi des besoins d’une plus noble nature, des sentimens qui peuvent sommeiller quelque temps chez un peuple, mais qui s’y réveillent tôt ou tard ; qu’enfin, en s’abandonnant trop complètement à son aversion naturelle pour les intelligences élevées, pour les caractères indépendans qui osaient conserver à côté de lui la spontanéité de leurs pensées, il en vint à jeter dans l’opposition tous les hommes d’un mérite éminent, à ne plus compter parmi ses partisans que ceux dont l’esprit