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demnité destinée aux possesseurs d’esclaves comme le prix de la rançon du droit de visite, et la France serait-elle disposée à payer argent comptant ce que les deux chambres ont réclamé comme un attribut inaliénable de la souveraineté ? Sérieusement dévoués à la double abolition de la visite et de l’esclavage, nous craindrions fort une association qui les compromettrait l’une et l’autre, et qui permettrait de présenter l’indemnité due aux colons comme une prime déguisée concédée aux vœux de la Grande-Bretagne.

D’ailleurs, comment défendre en droit une pareille stipulation ? à quel titre l’Angleterre subordonnerait-elle une concession internationale à un fait relatif au régime intérieur de nos colonies ? Est-ce que la traite se fait encore dans les possessions françaises ? est-ce qu’il serait possible d’en citer un seul exemple depuis dix ans ? Est-ce que des lois terribles ne l’ont pas heureusement rendue impossible ? Quelle corrélation prochaine ou éloignée existe-t-il dès-lors entre le mode d’émancipation de nos noirs et l’urgence de modifier des dispositions que la France repousse dans leur principe, et qu’elle serait certainement en droit de repousser dans leur exercice, sans sortir de la lettre même des traités, en refusant la délivrance des mandats annuellement exigibles ?

Si l’Angleterre disait à notre gouvernement qu’elle ne peut consentir à renoncer au droit de visite que lorsque la traite sera supprimée dans les possessions espagnoles et portugaises, que lorsqu’elle ne se fera plus sur aucun point du globe, ce langage serait plus impertinent peut-être ; mais il serait certainement beaucoup moins absurde. L’odieux trafic des esclaves se fait en effet à Cuba et au Brésil, tandis qu’il est de notoriété publique que les Antilles françaises sont depuis long-temps aussi désintéressées dans la question de la traite que le département du Nord ou celui du Pas-de-Calais.

Nous aimons à croire qu’il y a assez de lumières dans le cabinet pour qu’une telle faute ne soit pas commise au détriment de si grands intérêts, et qu’en lui prêtant de telles vues, les correspondans des feuilles étrangères calomnient la France et son gouvernement.

L’Espagne vient d’ajouter une page de plus à l’imbroglio de son drame révolutionnaire. Après les prononciamientos des carlistes, des progressistes et des modérés, nous avons ceux des contrebandiers, et l’on prend des pièces de coton pour insigne, après avoir mis en lambeaux tous les drapeaux politiques. Il serait assurément fort difficile d’expliquer ce que représente don Pantaléon Bonet, et à quelle opinion appartiennent les quatre cents carabiniers qui ont si glorieusement commencé leur carrière politique, sur la place publique d’Alicante. Ce triste mouvement, aussi obscur dans ses causes qu’impuissant dans ses effets, est-il un nouveau symptôme de dissolution et d’agonie sociale, ou faut-il n’y voir que la dernière tentative d’un parti vaincu, qu’une vaine protestation contre l’ordre qui tend à s’affermir ? Telle est la croyance des hommes qui connaissent le mieux la Péninsule, et nous sommes heureux de nous y associer complètement. Nous aimerions à voir dans la