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ment, de se décider pour le premier, tant le débat de l’adresse a ouvert de blessures profondes, pour ne pas dire incurables.

Si l’on s’en rapporte, du reste, aux hommes les mieux placés pour bien connaître la chambre, on peut affirmer qu’à cette heure la majorité n’a encore pris aucune résolution définitive. Elle hésite, elle flotte, elle balance, pesant les inconvéniens du maintien et les hasards du changement, et attendant que l’imprévu vienne dessiner une situation qu’elle ne se sent ni assez de fermeté pour consolider, ni assez de décision pour changer par une initiative directe. Or, l’imprévu a joué un tel rôle dans les évènemens depuis quelques semaines, qu’il est naturel d’attendre encore bien des péripéties soudaines. L’action d’un autre pouvoir ne peut manquer d’ailleurs de réagir fortement sur la chambre, et les bruits les plus contradictoires circulent sur les dispositions dont la couronne serait animée. Le parti à prendre est assez sérieux pour que sa haute sagesse en pèse mûrement les conséquences.

Le contrecoup des débats parlementaires de la Grande-Bretagne ne s’est pas encore fait ressentir chez nous. L’Europe entière a remarqué avec quelle chaleur et quelle affectation l’alliance était célébrée de l’autre côté de la Manche par les hommes politiques de tous les partis, sans en excepter ceux qui ont personnellement contribué à la dissoudre. Les débats de Westminster sont ouverts après la clôture de ceux du Palais-Bourbon. La chambre n’a donc pas lieu de regretter la réserve, pour ne pas dire la froideur, avec laquelle elle a répondu aux expressions trop générales et trop emphatiques du discours de la couronne ; cette réserve et cette froideur même ont déterminé des avances plus marquées et des protestations plus vives. La paix avec la France est en ce moment le besoin le plus impérieux de l’Angleterre. Entre la ligue du repeal et celle des anti-corn-laws, entre M. O’Connell et M. Cobden, le gouvernement britannique ne saurait envisager sans une émotion profonde la perspective d’une collision ou même d’un désaccord sérieux avec la France. S’il a obtenu un verdict de condamnation d’un jury protestant, il sait fort bien que l’effet même de ce jugement sera terrible, et que sept millions d’hommes vont protester contre la sentence, comme ils l’ont fait contre la composition même du jury. O’Connell sous les verrous est une nationalité dans les fers, et ce peuple ulcéré lèvera chaque matin les yeux vers l’horizon pour saluer de loin le point noir d’où sortira la tempête.

Si cette situation n’est pas un motif pour nous donner le droit d’abuser, elle nous autorise au moins à faire prévaloir, par une attitude ferme et modérée, nos justes réclamations. Tout le monde a remarqué les interpellations calculées de lord Brougham sur les conventions relatives au droit de visite, et les réponses non moins étudiées de lord Aberdeen. Lord Palmerston avait paru d’abord vouloir aussi accepter un rôle dans cette conspiration générale du silence et de l’équivoque ; mais l’âcreté de son humeur et les besoins de sa situation paraissent l’avoir emporté sur le dévouement patriotique. Le noble lord annonce des interpellations qui ne seraient probablement pas de