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REVUE. — CHRONIQUE.

ment représentatif, de plus dangereuse dans la situation que les circonstances ont amenée.

Selon cette opinion, représentée dans la presse par un organe fort répandu, le cabinet actuel serait condamné à une impuissance dont le concours de la majorité ne parviendrait pas désormais à le relever. Cette majorité doit donc se créer dans le pays et dans la chambre une position à part et distincte de celle du ministère, pour constater qu’elle ne s’inféode point à lui, et qu’elle n’est pas responsable d’une politique sans nationalité au dehors et sans initiative au dedans. Cependant elle doit le laisser durer et lui prêter assez de force pour vivre, tout en lui refusant l’énergique adhésion nécessaire pour gouverner. On convie, en un mot, la portion indépendante du parti conservateur à maintenir jusqu’aux élections prochaines, par une sorte de concours négatif, une situation provisoire et de plus en plus affaiblie.

Nous tenons ce conseil pour l’un des plus funestes que puissent suivre des hommes politiques. Comment ne pas voir que rien ne serait plus propre à faire perdre au pouvoir le peu qui lui reste parmi nous de prestige et de force ? comment ne pas pressentir la redoutable influence sous laquelle s’opéreraient les élections préparées durant deux ou trois ans par une administration impuissante et tolérée ? Quels seraient les résultats d’une telle crise ? jusqu’où irait la réaction que cette crise devrait infailliblement provoquer ? Est-on bien assuré que le ministère actuel, disparaissant ainsi dans l’abîme ouvert par les élections générales, pourrait alors être remplacé par un cabinet offrant à la monarchie constitutionnelle et au parti conservateur les gages qu’ils ont droit d’attendre ? Les hommes du 15 avril, du 12 mai ou même du 1er  mars suffiraient-ils aux obscures éventualités d’un tel avenir ? et qui oserait en prendre d’avance la redoutable responsabilité ? Si le cabinet tombait aujourd’hui, une autre administration se reconstituerait avec l’influence et le concours du parti conservateur ; en serait-il de même dans trois années ? peut-on l’espérer, surtout si, pendant cette longue période, loin de raffermir le pouvoir, on s’attache à le frapper de suspicion et à le représenter comme un cabinet de transition condamné à tomber devant une législature nouvelle ? Nous tiendrions une telle politique pour pleine de témérités et de périls.

Une seule alternative reste donc dans le cours de la session actuelle à la majorité conservatrice : se grouper énergiquement autour du cabinet en identifiant son sort et sa fortune avec ceux du ministère, ou s’en séparer sur une question décisive. Dans le premier cas, le pouvoir pourrait retrouver la force morale qu’il a perdue et qui est si nécessaire aux intérêts généraux du pays. Dans le second la couronne serait respectueusement mise en demeure de donner à la majorité constitutionnelle du parlement d’autres chefs et d’autres organes. Il est encore impossible de dire si la majorité prendra le dernier parti, mais il est permis d’affirmer qu’il lui répugne beaucoup, en ce mo-