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REVUE. — CHRONIQUE.

par elle-même un danger, et il suffit, pour en avoir la certitude, de se rappeler les efforts que le cabinet fit l’année dernière pour l’empêcher de se produire. Combien ce danger n’est-il pas plus grave lorsqu’un tel fractionnement au sein du parti conservateur ne résulte plus d’une combinaison qu’on pourrait croire peut-être calculée dans un intérêt d’ambition, et qu’il a été provoqué par une violence morale ! Une telle complication, qui serait une difficulté dans toutes les hypothèses, ne devient-elle pas un péril lorsqu’elle a été rendue nécessaire par le devoir de conserver sa liberté et son honneur ?

Cédant à d’augustes insistances, M. de Salvandy avait, dit-on, consenti à retirer sa démission. Ce fait écartera donc du débat toute la première partie de cette affaire. Il ne permettra plus à personne d’atteindre même indirectement un pouvoir dont l’inviolabilité est l’essence, et que tous les amis de la constitution couvriraient à l’instant de leur silence et de leurs respects, si on osait jamais le traduire à la tribune. La démission que l’ambassadeur près la cour de Sardaigne aurait adressée au roi est un fait que la chambre n’a pas la faculté de discuter, et qui échappe au contrôle de ses investigations constitutionnelles. Que restera-t-il dans le débat ? Une question toute nouvelle et d’une portée immense, celle de savoir si un ministre a le droit de contraindre, sous peine de révocation, un fonctionnaire député à retourner sur-le-champ à son poste, soit pour le punir d’un vote émis, soit pour prévenir un vote à émettre dans une discussion prochaine. On ne saurait arguer ici des nécessités du service, qui rendraient le droit manifeste à tous les yeux : nul ne viendra à la tribune soutenir que des évènemens graves et imprévus avaient rendu tout-à-coup la présence de l’ambassadeur nécessaire à Turin : une telle affirmation tomberait sous le coup de l’appréciation morale de la chambre, et l’on peut assurer d’avance qu’elle ne sera pas produite. C’est donc pour son vote, et à cause de son vote seulement, qu’un fonctionnaire s’est trouvé placé dans le cas d’opter entre un départ immédiat et une honorable démission.

Que la tranquillité publique soit menacée dans le ressort d’une cour royale, qu’une procédure compliquée se poursuive ou se prépare, le devoir du garde-des-sceaux est d’ordonner au procureur-général de prendre la poste pour retourner à son siége ; que le débordement d’une rivière intercepte les communications ou menace d’inondations les propriétés riveraines, le ministre des travaux publics devra enjoindre à l’ingénieur de quitter à l’instant le Palais-Bourbon pour retourner dans son département. Que celui-ci appartienne à la majorité ou à l’opposition, il ne pourra se dispenser d’obéir, et s’il porte la question devant la chambre, ce grand pouvoir, appréciant les faits et la mission de l’autorité publique, sanctionnera sans nul doute par son approbation morale la conduite et les prescriptions du ministre. Mais si la tranquillité est profonde, et qu’aucun intérêt ne soit en souffrance dans la résidence du fonctionnaire député ; s’il n’y a en question que l’existence d’un cabinet ou le sort d’une mesure politique, la chambre ne souffrira pas