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DE LA CRISE POLITIQUE EN ESPAGNE.

raient se diviser en trois catégories que le temps lui-même s’est chargé d’établir : les vieux tribuns et les vieux généraux de 1808 et de 1812 ; les députés et les sénateurs qui ont atteint leur maturité de 1812 à 1823 ; les jeunes gens élevés pendant l’émigration à Paris ou à Londres, et qui se sont produits dans les deux chambres, dans le gouvernement, dans l’armée, depuis la mort de Ferdinand VII. Les hommes de 1808 et de 1812 ont donné, au commencement de ce siècle, d’éclatantes preuves de courage et de patriotisme. Malheureusement, les persécutions incessantes qu’ils essuyèrent plus tard et qu’ils ont rendues avec usure, les ont plongés à la longue dans le pire des scepticismes, le scepticisme politique, qui, chez un peuple si peu avancé encore, aboutit trop souvent à la plus profonde démoralisation. Les hommes qui ont abordé la vie publique de 1812 à 1823 ne peuvent être cités que pour mémoire : ils forment, dans les deux chambres, sauf un très petit nombre, le noyau des auditeurs et des votans serviles qui obéissent en silence à l’opinion triomphante ; l’éducation leur a manqué, c’est dans les troubles civils qu’ils ont grandi. Enfin les hommes nouveaux, élevés à Paris ou à Londres, n’ont apporté en Espagne que des idées et des théories inapplicables ; bientôt corrigés par les évènemens, ils sont tombés d’un excès dans l’autre, et les plus ardens prôneurs des institutions étrangères ont été les premiers à recourir aux moyens extrêmes et aux expédiens illégaux.

Ce n’est guère avec ces trois générations que l’Espagne doit compter aujourd’hui. Ni les vieilles réputations de 1812 et de 1823, ni les partisans des idées étrangères, ne peuvent maîtriser le mouvement et lui imprimer une direction féconde. Il se produit dans la Péninsule un phénomène social qu’on chercherait en vain dans les autres pays bouleversés par les révolutions. C’est la jeunesse espagnole qui la première s’est ralliée à la cause de l’ordre ; c’est elle qui, par les journaux, par les revues, par les livres, poursuit avec le plus d’énergie le progrès véritable dans les mœurs comme dans les institutions. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le congrès actuel pour s’assurer de l’influence qu’elle s’est acquise. Aux extrémités de la gauche, on retrouve les débris du parti exalté, qui, dans l’espace de six mois, a subi deux démembremens successifs. Le premier de ces démembremens s’est opéré a l’époque où, sous l’impulsion de MM. Lopez, Cortina, Olozaga, Serrano, l’immense majorité du parti contracta une étroite ligue avec les modérés pour renverser le duc de la Victoire ; le second, durant la crise où est tombé M. Olozaga lui-même, quand MM. Gonzalès-Bravo, Posada-Herrera et bien d’autres, les plus jeunes et les plus résolus des progressistes, rompirent ouvertement avec MM. Lopez et Cortina, pour se prononcer contre le dernier président du conseil. C’est en pure perte, nous le croyons du moins, que, pour réparer ces deux brèches, MM. Cortina et Lopez se sont ralliés aux espartéristes. En prenant la défense de M. Olozaga au congrès, MM. Lopez et Cortina se sont eux-mêmes frappés d’un discrédit dont ils parviendront difficilement à se relever. Après la gauche vient le centre, la plus nombreuse fraction du congrès. Le centre se compose des progressistes ralliés à M. Gonzalès-Bravo