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de son cabinet, il envoya chercher M. Cortina, qui accourut en toute hâte au ministère de la guerre, avec MM. Moreno-Lopez et Madoz.

Au point où en étaient venues les choses, il ne fallait plus songer à ramener les progressistes ; ce n’était point M. Cortina qui devait venir à M. Serrano, mais bien M. Serrano qui devait passer à M. Cortina. Le député de Séville rappela énergiquement à M. Serrano la solidarité qu’établissaient entre eux leurs précédens et leurs principes ; il lui démontra que, les sympathies des progressistes faisant toute sa force dans les chambres, sa chute serait inévitable du moment où ils tourneraient contre lui leurs plus vives attaques ; le prestige évanoui, ce serait le plus grand intérêt des modérés eux-mêmes que de le mettre à l’écart. Facilement vaincu par des argumens pareils, M. Serrano abandonna tout-à-fait la ligne qu’il avait résolument suivie jusque-là. Avant même que MM. Cortina, Madoz et Moreno-Lopez eussent quitté le ministère, il envoya son sous-secrétaire d’état chez le général Narvaez. Par l’organe de M. Gallego, M. Serrano déclarait au capitaine-général qu’il ne se trouverait point au rendez-vous indiqué pour le soir même à sept heures ; il lui était impossible de concourir, soit avec Narvaez, soit avec tout autre chef du parti modéré, à la formation d’un nouveau ministère ; il désirait vivement se retirer pour quelque temps des affaires publiques, mais on n’en pouvait pas moins compter sur son dévouement à la reine et à la constitution.

Ce n’était point assez pour le chef du parti progressiste. Sous l’influence de M. Cortina, M. Serrano ne devait pas déployer une activité moindre que sous l’énergique impulsion de Narvaez. M. Gallego n’était pas arrivé chez ce dernier, que M. Serrano se transporta chez la reine, et, après lui avoir dit qu’un ministère de conciliation était radicalement impossible, il lui fit entrevoir les accusations qui, à travers le parti modéré, remonteraient peut-être jusqu’à la couronne, si un ministère conservateur se présentait en son nom aux cortès ; pour désarmer M. Cortina et ses amis, il était urgent de former une administration exclusivement progressiste ; il fallait en outre s’en rapporter pour le choix des ministres à M. Maria Lopez, le dernier président du conseil. Le général Serrano ne s’en tint pas là. Le congrès était convoqué pour le lendemain. C’était donc le soir même qu’il fallait constituer le cabinet chargé de soutenir la déclaration royale devant les cortès ; c’était le soir aussi que devaient se réunir au palais tous les hommes influens dévoués à la reine. À cet instant décisif, le général Serrano annonça qu’il ne se trouverait point à la réunion ; il visita successivement, pour les détourner de s’y rendre, quelques-uns de ceux qui en devaient faire partie, et notamment les progressistes qui, entraînés par lui et par M. Gonzalès-Bravo, avaient ardemment embrassé la cause de la monarchie. Cependant il ne tarda point à s’apercevoir que de ce côté il perdrait toutes ses peines ; il ne parvint pas même à ébranler M. Calvet, qui rompit avec lui nettement pour ne plus quitter le général Narvaez. Rebuté partout, M. Serrano rentra précipitamment à son hôtel, et, se défiant sans doute des résolutions qu’il pourrait