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DE LA CRISE POLITIQUE EN ESPAGNE.

zaga triomphant, qui, le voyant déchu, allaient, disait-on, prendre sa défense. Il ne restait qu’un moyen de prévenir leurs attaques : c’était de former à l’instant même un cabinet où ils eussent de sérieux représentans ; ils se rassureraient sans aucun doute, s’ils savaient qu’un des leurs, le seul personnage politique qui exerçât un double prestige dans l’armée et dans les deux chambres, se chargeait de constituer ce ministère dont il serait le chef. Le général Serrano entra pleinement dans les vues de Narvaez. Six heures allaient sonner, quand il reçut le message qui le mandait à l’audience promise par la reine au président et aux vice-présidens du congrès. « Partez, mon cher général ! lui dit Narvaez, on va décider du sort de la reine d’Espagne, à qui vous êtes redevable de si nombreuses faveurs, et c’est à votre loyauté que la reine fait appel ! » M. Serrano était déjà sur le seuil de son cabinet quand Narvaez lui adressa cette véhémente apostrophe ; il demeura un instant pensif et immobile ; puis, se tournant vers M. Donoso-Cortès, il s’écria brusquement : « Donnez-moi le décret que vous avez préparé. » M. Donoso-Cortès s’étant empressé de le lui remettre, M. Serrano se rendit immédiatement dans la chambre de la reine, où l’attendaient M. Frias, M. Pidal et les vice-présidens du congrès. C’est alors que la reine, appuyant sur les moindres circonstances, fit la déclaration fameuse soutenue aux cortès par M. Gonzalès-Bravo.

Aussitôt que la reine eut achevé son récit, M. Pidal, les vice-présidens et les deux ministres arrêtèrent que M. Olozaga serait sur-le-champ destitué ; M. Serrano ayant communiqué la minute dressée par M. Donoso-Cortès, cette minute fut adoptée, sauf quelques légères modifications de forme, que M. Frias, chargé de soumettre le décret à la sanction royale, y apporta lui-même à une heure avancée de la nuit. C’est le décret que publia le lendemain la Gazette de Madrid. Avant la fin de l’audience, M. Olozaga se présenta chez la reine, demandant instamment à lui parler. L’Europe entière connaît la réception qu’on lui fit au nom de la reine elle-même ; un simple officier lui annonça qu’il n’était plus rien au palais.

La déchéance de M. Olozaga était consommée. En le destituant par décret, sans se préoccuper le moins du monde des garanties constitutionnelles, la jeune reine agissait envers lui comme l’aurait pu faire Philippe IV à l’égard du comte-duc d’Olivarès. On s’étonne que personne, parmi les chef du parti modéré, n’ait entrevu les périls qu’une si exorbitante mesure devait nécessairement entraîner. Sans aucun doute, après la scène du 28 novembre, M. Olozaga ne pouvait plus rester aux affaires ; mais c’était la dissolution pure et simple du cabinet qui l’en devait écarter, et pour aplanir les difficultés naissantes, il eût fallu appeler dans la nouvelle administration toutes les notabilités du parlement. Voilà comment on eût maintenu la coalition, voilà comment surtout on eût prouvé aux progressistes que l’on n’entendait pas les exclure du gouvernement. Pouvait-on croire au désintéressement et aux patriotiques intentions des chefs du parti modéré, quand, pour consommer la ruine d’un seul homme, on les voyait, au grand péril de l’inviolabilité