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DE LA CRISE POLITIQUE EN ESPAGNE.

celantes et de doter la Péninsule d’une intelligente et forte administration. On sait par quels procédés le président du conseil répondit à cette démarche, et on comprend sans peine la position que prit dès-lors Narvaez vis-à-vis de M. Olozaga.

N’ayant point trouvé M. Serrano, chez qui il s’était rendu en quittant la reine, le général Narvaez s’était empressé de rentrer à son hôtel ; il se disposait à mander quelques-uns de ses amis, quand on lui annonça trois jeunes députés, MM. Gonzalès-Bravo, Ros de Olano et Fermin-Gonzalo Moron, qui, à ce moment, ignoraient encore l’accusation formulée par la reine elle-même contre le président du conseil. Avant qu’aucune parole eût pu être échangée, un autre député, M. Carriquiri, entra, tout ému et hors d’haleine. Celui-ci savait la grande nouvelle, et il en fit part à ses trois collègues. Le général n’était point revenu encore de l’accès de colère où il était entré chez la reine, il parcourait sa chambre à pas précipités et s’écriait à tout propos : « Sommes-nous Espagnols ? supporterons-nous l’outrage qui vient d’être fait à la reine ? » Ce n’était pas tout cependant que de s’indigner, il fallait agir, et Narvaez ayant fini par demander à ses amis quelle détermination il convenait de prendre, M. Gonzalès-Bravo répondit froidement : « En arrachant le décret à la reine, Olozaga nous a mis dans l’impossibilité de calculer nos résolutions ; aux grands maux les grands remèdes ! » Il fut décidé que l’on dénoncerait à la nation la conduite de M. Olazaga ; mais de quelle manière et par qui serait-elle dévoilée ? Narvaez proposa de mander M. Pidal auprès de la reine, pour que celle-ci renouvelât sa déclaration devant le président du congrès, et M. Pidal fut sur-le-champ invité à se rendre à l’hôtel du capitaine-général de Madrid.

M. Pidal est un des chefs de la droite. De tous les conservateurs espagnols, c’est peut-être M. Pidal qui a le plus d’horreur pour les moyens extrêmes et les brusques secousses que des ambitions particulières peuvent imprimer aux affaires publiques. Le caractère aventureux de M. Olozaga lui avait souvent inspiré des alarmes ; mais comment imaginer qu’il oserait se porter à un tel excès d’audace ? M. Pidal n’osait d’abord ajouter foi à tout ce que lui dirent le général et ses amis ; on réussit pourtant à le convaincre, et dès-lors il déclara qu’il se mettait tout entier à la disposition de la reine, dût-il perdre la vie à son service. Narvaez courut au palais, et, après s’être assuré que la reine n’éprouverait point de répugnance à renouveler sa déclaration devant M. Pidal, il rentra chez lui en toute hâte ; quelques minutes plus tard, il se retrouvait en présence de la reine avec le président du congrès. La reine répéta, au milieu des sanglots et des larmes, ce qu’elle avait dit le matin au général Narvaez. La déclaration achevée, M. Pidal la jugea trop grave pour que lui seul la pût rendre publique. Il pria la reine de vouloir bien la faire une troisième fois encore devant les quatre vice-présidens du congrès. La reine répondit qu’elle y consentait volontiers ; elle-même fixa pour le soir à six heures l’audience que lui demandait M. Pidal