Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/697

Cette page a été validée par deux contributeurs.
693
DE LA CRISE POLITIQUE EN ESPAGNE.

la tribune, et sur lequel M. Olozaga n’aurait pas même essayé de se défendre. Quand Espartero prononça la dissolution des derniers cortès, ce fut M. Olozaga qui donna le signal de l’insurrection, en s’écriant, au congrès : « Dieu sauve le pays et la reine ! » Et six mois après, parce qu’il se voyait menacé dans son existence ministérielle, c’était lui qui reproduisait dans ses plus tristes excès la politique d’Espartero !

Le décret avait été signé à neuf heures et demie environ, dans la nuit du 28 novembre, et jusqu’au lendemain à midi il n’en transpira pas le moindre bruit au palais. Déjà cependant on pouvait conjecturer autour de la reine qu’une scène extraordinaire s’était passée dans son cabinet entre elle et son premier ministre : durant toute la nuit, elle était demeurée obstinément plongée dans une profonde et silencieuse tristesse, dont on n’osa la distraire par des questions indiscrètes. Le jour venu, elle ordonna que l’on plaçât dans son cabinet une sonnette aboutissant à sa chambre : elle veilla elle-même à ce que cet ordre fût sur-le-champ exécuté. Le 29 novembre, à midi, le général Narvaez vint faire sa visite officielle. Depuis trois semaines, le général se retirait aussitôt après avoir reçu le mot d’ordre ; ce jour-là, il demeura plus long-temps que d’habitude, pour demander à la reine si elle avait jugé à propos d’admettre la démission du général Serrano. « La démission de Serrano ! s’écria la reine ; et pourquoi donc Serrano veut-il se retirer ? — Il est assez étrange, repartit Narvaez, que j’en donne la nouvelle à votre majesté ; voici déjà plus de vingt-quatre heures qu’Olozaga aurait dû lui soumettre une affaire si grave. — Olozaga ! s’écria la reine fondant tout à coup en larmes, Olozaga !… » Mais l’émotion l’empêcha de poursuivre. Narvaez ayant attendu qu’elle fût en état de s’expliquer, elle finit par lui raconter ce qui s’était passé la veille entre elle et le président du conseil.

Aux premières paroles de la reine, Narvaez fut saisi d’un si violent accès de colère, que le palais tout entier ne tarda point à être mis dans la confidence. Narvaez voulait d’abord aller trouver M. Olozaga pour le traîner aux pieds de la reine et le forcer à implorer son pardon. On parvint cependant à le contenir ; et comme on lui représentait que c’était là se conduire à la façon d’un petit cadet de régiment, il s’écria : « Vous avez raison ! Il faut une autre satisfaction à la reine d’Espagne, et je jure qu’elle l’aura ! » Et après avoir pris les mesures nécessaires pour que l’accès de l’appartement royal fût désormais interdit au président du conseil, il se rendit immédiatement chez le général Serrano.

C’est Narvaez qui, dans les journées du 29 et du 30 novembre, a créé la situation actuelle. Ce personnage, très diversement jugé en Europe, mérite qu’à des portraits peu fidèles on essaie d’opposer une impartiale appréciation. Le général Narvaez a son rang marqué aujourd’hui parmi les plus hautes illustrations militaires de l’Espagne. Issu d’une des meilleures familles de la Péninsule, il a pu, durant la guerre civile, joindre au prestige de la naissance celui que donnèrent des services rendus au pays. Doué au plus haut degré de l’exaltation méridionale, Narvaez se fait remarquer par une