Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/696

Cette page a été validée par deux contributeurs.
692
REVUE DES DEUX MONDES.

instances étaient beaucoup plus vives que dans les journées précédentes, M. Olazaga l’interrompit en lui disant : « Je le veux bien, mais que me donnera pour cela votre majesté ? » La reine ne prit point garde à l’interpellation ; elle se plaignit amèrement de la mauvaise volonté dont M. Olozaga faisait preuve dans une occasion où il eût dû s’empresser de lui être agréable. Elle s’était imaginé d’ailleurs que le conseil avait implicitement tranché l’affaire. Le duc de Baylen venait d’être nommé tuteur par intérim de sa sœur, l’infante Marie-Louise-Fernande. Quelle signification pouvait avoir une nomination pareille, si la tutelle n’était point réservée en propre à sa mère ? « Eh ! laissez donc ! s’écria brusquement le président du conseil, puisque vous ne voulez rien me donner pour cela. » Réduite au silence et tout entière à la surprise où la jetaient de si étranges paroles prononcées d’un ton plus étrange encore, la reine regardait fixement son premier ministre. Alors, sans l’y avoir autrement préparée, M. Olozaga tira de sa poche le décret de dissolution, dont il avait eu soin de dresser la minute, et lui dit : « Madame, le conseil, ne pouvant plus s’entendre avec les cortès actuelles, a décidé qu’elles seraient dissoutes ; je suis chargé de soumettre à votre signature le décret qui les renvoie devant les électeurs. » Et chacun sait comment la reine signa.

Ce sont les procédés inqualifiables de M. Olozaga envers la reine qui ont soulevé en Espagne l’indignation générale. Il n’en pouvait pas être autrement dans le pays de Philippe V et de Charles III, où, en raison de l’impopularité qui, sur la fin du régime espartériste, s’attacha aux moindres actes du comte-duc, une grande réaction s’est opérée en faveur des idées monarchiques. L’accusation de lèse-majesté a été assez long-temps et assez bruyamment débattue à la tribune pour que nous soyons dispensé d’y revenir ; il en est une autre qui, à la faveur du bruit, est passée pour ainsi dire inaperçue, et dont les orateurs et les publicistes du parti modéré auraient dû, ce nous semble, particulièrement s’occuper. Ils auraient dû montrer quels désastres eût infailliblement entraînés la folle campagne que méditait le chef du ministère contre la constitution et les chambres. Élues pendant la guerre civile, dans un pays excédé de réactions et d’émeutes, les cortès actuelles avaient reçu la mission expresse d’en finir avec les régimes exceptionnels et les gouvernemens révolutionnaires ; elles s’étaient réunies à Madrid, bien résolues à étouffer l’esprit de bouleversement et de désordre qui passait à l’état chronique, par une application franche et sérieuse de la constitution votée en 1837 ; elles voulaient enfin entreprendre la rénovation de l’Espagne, non plus par le sommet et avec des idées générales, mais par la base et par les détails, en réformant, ou pour mieux dire en créant l’administration à ses moindres degrés et dans ses plus infimes parties. En plaçant M. Olozaga aux affaires, elles comptaient qu’il mettrait sa gloire à guider leurs délibérations laborieuses, à leur frayer la voie dans ce dédale immense d’institutions et de lois à détruire ou à promulguer. On ne pouvait pas tromper plus misérablement de plus nobles ni de plus légitimes espérances. Tel est le chef d’accusation qu’il eût fallu principalement développer à