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coalition, le ministre de la guerre et le capitaine-général de Madrid ? Dispensés à l’avenir de tout ménagement, les modérés et les progressistes allaient l’attaquer à face découverte. Mais c’était plutôt entre les deux partis que devait recommencer la bataille parlementaire. M. Olozaga avait si bien fait, durant son court ministère, qu’il s’était à la fois rendu impossible et comme chef et comme soldat. Jamais homme d’état ne s’était vu plus cruellement puni de son égoïsme : il avait voulu être seul dans sa puissance il était seul dans son délaissement.

Si le gouvernement représentatif avait été plus solidement établi, plus sérieusement appliqué dans la Péninsule, M. Olozaga aurait fléchi sans doute : quoi qu’il en eût coûté à son amour-propre, il n’aurait point hésité à quitter le pouvoir ; mais dans un pays comme l’Espagne, un homme de ce caractère ne pouvait point se résoudre à un si rude sacrifice, pour peu qu’il y eût jour à continuer la lutte. C’est l’histoire du guerillero qui, cerné de toutes parts, décharge en plein visage son coup d’escopette à qui le somme de se rendre. Il ne restait qu’un moyen d’ajourner le péril, sinon de le conjurer tout-à-fait : M. Olozaga le saisit avec empressement, si désespéré qu’il pût être. Ce moyen, c’était la dissolution des cortès. La nomination de M. Pidal n’a donc point décidé M. Olozaga, ainsi que l’a prétendu la presse entière en Europe, à prendre cette mesure capitale ; nous avons déjà dit avec quels dédains il accueillit les alarmes que lui avait à ce sujet exprimées le général Serrano.

La dissolution une fois arrêtée dans l’esprit de M. Olozaga, on connaît la marche que les évènemens le condamnèrent à suivre. La démission de M. Serrano lui fut apportée par M. Gallego sur la fin de la journée du 27 novembre et c’est dans la nuit du 28 qu’il obtint de la reine le décret de dissolution. Durant le très petit nombre d’heures qui s’écoulèrent entre le moment où la démission lui fut remise et celui où il exigea le décret, pouvait-il assembler le conseil pour prendre l’avis de ses collègues ? Si peu qu’on y réfléchisse, on comprendra qu’il ne dut pas même y songer. Comment, en l’absence de M. Serrano, le seul membre populaire du cabinet, eût-il osé proposer une si importante mesure ? Si M. Domenech, le ministre progressiste, avait demandé les raisons de cette absence, que lui eût répondu M. Olozaga ? Deux autres ministres, MM. Luzurriaga et Cantero, amis intimes de M. Olozaga, ont insinué plus tard, à la tribune du congrès, que l’on avait quelquefois dans le conseil parlé de dissoudre les chambres. Que le conseil eût, en effet, agité cette question, cela même est fort contestable ; mais ce qu’il fallait prouver surtout, c’est qu’après la rupture survenue entre M. Serrano et M. Olozaga, le conseil avait été réellement consulté, et si les deux amis du ministre déchu avaient osé produire une pareille assertion à la tribune, leur témoignage eût été immédiatement infirmé ; on savait à Madrid qu’à la nouvelle de la dissolution, les collègues de M. Olozaga avaient, ni plus ni moins que tout le monde, éprouvé une grande émotion. Voici un trait qui donnera une idée exacte de la stupéfaction profonde où les jeta cette brusque détermination de leur chef. M. Calvet, ne pouvant croire que le conseil n’y avait eu aucune part, se