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prendre envers la reine, brusquant l’étiquette et les plus simples lois de la politesse, ne lui parlant qu’à la première personne et sur le ton d’un véritable tuteur de l’ancien théâtre espagnol. On ne sait point assez en France ce que sont les grands d’Espagne au XIXe siècle ; étrangers pour la plupart à la conduite des affaires publiques, les fils dégénérés des ducs d’Albe, des Altamira, des Oñate, pratiquent de nos jours, non moins scrupuleusement que sous Philippe IV, le culte de la personne royale. Vous imaginez à quel point tous ces descendans de vice-rois, de connétables et d’amirantes durent être scandalisés de ces manières de roturier, comme on le dit plus tard assez plaisamment à la tribune des cortès.

Les efforts de M. Olozaga pour usurper à son profit la faveur royale, ses procédés envers Narvaez, le ressentiment de celui-ci, rien de tout cela n’était un mystère au palais et dans les salons politiques. Tout le monde également pouvait s’attendre à ce que M. Serrano, qui ne prenait pas plus que Narvaez la peine de cacher son ressentiment, saisirait la première occasion d’écarter du ministère M. Olozaga. M. Pidal, une des notabilités de la droite, fort estimé dans la Péninsule pour quelques travaux de législation et d’histoire, ayant été nommé à la présidence du congrès, le général Serrano crut le moment favorable ; il alla trouver M. Olozaga et lui dit que la nomination de M. Pidal était un véritable échec pour le cabinet, qui à son avis devait immédiatement se dissoudre. Pour expliquer une démarche que les circonstances ne justifiaient d’aucune manière, M. Serrano a déclaré depuis que peut-être il s’était laissé entraîner un peu trop loin par son amitié pour M. Lopez, que le parti progressiste opposait à M. Pidal. L’excuse de M. Serrano ne nous paraît point admissible, et nous sommes convaincu qu’à un pareil moment le jeune ministre de la guerre ne se préoccupait guère des intérêts de M. Lopez. M. Olozaga ne prit point l’alarme ; il répondit à M. Serrano qu’il envisageait de tout autre façon la situation du ministère ; il démontra péremptoirement que, dans l’état où se trouvaient les deux grandes fractions de la chambre, — les progressistes s’obstinant à se retrancher dans une réserve peu rassurante, tandis que les modérés appuyaient franchement le cabinet, — c’était pour celui-ci une bonne fortune que la nomination de M. Pidal. M. Serrano n’avait absolument rien à répliquer à des raisons si concluantes : il n’insista point sur les difficultés qu’il venait de soulever au sujet de M. Pidal ; mais, bien loin de se tenir pour battu, il exprima hautement le dégoût que lui inspirait la marche des affaires, et finit par déclarer que, si M. Olozaga ne se croyait point menacé dans son existence ministérielle parce que M. Pidal était nommé président du congrès, il ne conserverait point apparemment la même sérénité, si Narvaez cessait d’être capitaine-général de Madrid. M. Olozaga lui ayant demandé ce que signifiaient ces dernières paroles : « Eh bien ! cela veut dire, s’écria M. Serrano, que j’ai là dans mon portefeuille la démission du général Narvaez. » En prononçant le nom de l’homme qui naguère encore était le maître absolu de la