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DE LA CRISE POLITIQUE EN ESPAGNE.

au silence quand il était question de prendre un parti et d’agir. M. Lopez est le Barnave de l’Espagne, mais un Barnave qui décidément ne tiendra pas ce qu’il a autrefois promis, un Barnave de soixante ans.

Le jour où d’un commun accord les modérés et les progressistes exigèrent que M. Lopez se retirât des affaires, M. Olozaga, déjà président du congrès, était le seul homme en Espagne qui, par la supériorité de son talent, par la fermeté de son caractère, dominât à la fois les deux partis. Jamais peut-être l’opinion publique ne s’était aussi unanimement prononcée en faveur d’un personnage politique, pas même à l’époque où M. Mendizabal obtint des cortès le vote de confiance dont il a tant abusé. Nous avons sous les yeux la plupart des journaux publiés pendant le mois de novembre à Madrid et dans les provinces ; il n’en est pas un, et surtout parmi les journaux modérés, qui ne proclame M. Olozaga le ministre indispensable, l’arbitre suprême de la situation.

Le nouveau chef du cabinet ne conserva pas long-temps une position si forte et si brillante. On connaissait à peine les noms des hommes appelés aux affaires, que les deux partis se trouvèrent à la fois indisposés et froissés. On avait lieu de croire que les principaux départemens seraient confiés à quelques-unes des notabilités parlementaires : c’était le vœu bien manifeste des deux chambres, c’était en outre l’intérêt évident de M. Olozaga. L’ancien ambassadeur préféra suivre une politique toute contraire : à l’exception du général Serrano, qu’il se vit contraint de subir, il prit pour collègues des hommes à peu près inconnus jusqu’alors, et dont le titre unique était de vivre avec lui dans les termes de la plus intime amitié. Nous citerons un mot qui, à cette occasion, fit fortune dans les salons de Madrid et jusque chez la reine : « M. Olozaga, disait-on, a choisi ses ministres dans ses tertulias. » C’est ainsi que l’on nomme, en Espagne, les fêtes de famille où l’on réunit les cliens et les amis de la maison. M. Olozaga ne redoutait qu’un seul homme dans les deux chambres : c’était M. Cortina, qui, la veille encore, lui disputait sans désavantage le premier rang dans le parti progressiste. Par égard pour M. Cortina, il abandonna l’intérieur à M. Domenech, alcade constitutionnel de Madrid, dont les volontés ont toujours été conformes à celles du député de Séville, et qui, du reste, a bien mérité de l’Espagne en réorganisant la garde nationale de Madrid, si brutalement dissoute par Espartero. Mais la nomination de M. Domenech n’était point pour M. Cortina une concession suffisante ; dès le jour où M. Olozaga mit le pied sur le seuil du pouvoir, les progressistes prirent vis-à-vis du cabinet une attitude menaçante dont ils ne se sont départis qu’au moment où le ministre déchu est venu implorer leur protection. Il n’en fut pas de même des modérés : pour les ramener à lui tout-à-fait, il suffit à M. Olozaga de s’engager à replacer la grande question des ayuntamientos dans les termes où Marie-Christine avait tenté de la résoudre.

M. Olozaga ne pouvait se dissimuler néanmoins les embarras qui résultaient