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LA POÉSIE SYMBOLIQUE ET SOCIALISTE.

un coin du poème : elles sont le poème tout entier. Sous ce nouveau régime, l’émotion a tout à perdre. Dès que les douleurs de l’héroïne sont une figure, ses pleurs ne me feront pas pleurer ; quand elle déchirera ses pieds aux ronces du chemin, au lieu d’être ému, je me demanderai à quel ordre de faits cette image correspond dans la pensée de l’auteur, et je ne le devinerai peut-être pas. Enfin, malgré les beaux vers, Psyché sera froide, et la moindre paysanne serait plus touchante : par exemple Marie, de M. Brizeux.

Tout ce qui entoure Psyché n’est guère propre du reste à lui donner, aux yeux du lecteur, une vie véritable. Les cygnes, le fleuve, les saules et les roseaux, rompant leur silence habituel pour entrer en conversation avec la belle voyageuse, n’animent pas beaucoup la scène, on en conviendra. Ce qui manque dans les paysages de M. Laprade, c’est un être vivant ; et comme cette fantasmagorie des saules et des roseaux qui parlent est vite usée, et que cette conversation à grand orchestre de tous les objets de la nature devient bientôt monotone, le lecteur regarde autour de lui et s’aperçoit qu’il est dans un désert. Cependant la personnification des objets inanimés est plus facilement acceptable dans un poème où l’artiste, si l’on peut ainsi parler, est derrière la toile, que dans une de ces compositions où il est en scène, ce qui ne ressort que trop évidemment du nouveau volume de M. de Laprade, qui a laissé voir cette fois comment il entend les relations de l’homme avec la nature.

Notre poésie descriptive, au XVIIe et au XVIIIe siècle, ne fut qu’une copie peu intelligente de l’églogue latine. Segrais, Mme Deshoulières, Fontenelle, ne virent la nature qu’à travers les Bucoliques de Virgile. On faisait des idylles comme on eût fait autre chose, sans vocation et je crois que si on ôte de Segrais ce vers :

Un vieux faune en riait dans sa grotte sauvage,

qui pourrait tout aussi bien être d’André Chénier, il serait difficile de rencontrer chez lui un sentiment quelque peu profond de ce qu’il essayait de peindre. Mme Deshoulières ne voyait dans le monde champêtre que matière à petites allégories, et Fontenelle que matière à peintures galantes. Plus tard, pour Saint-Lambert, la nature fut un parc vu du salon, et pour Delille c’était un jardin. Tous nos écrivains de pastorales comprirent donc la nature comme des profanes ou comme des modernes, si l’on aime mieux ; André Chénier seul la