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n’a pas eu d’emblée ce cachet individuel et profond qui n’est donné qu’aux élus, et il n’a pas su encore l’acquérir. Ses diverses compositions sont des reflets, souvent brillans, de foyers divers. Certes ce n’est pas l’imitation béate à l’usage de ces talens médiocres qui sont très heureux de reproduire tant bien que mal une illustre physionomie, comme ces élégans douteux qui se modèlent sur le roi de la mode. M. de Laprade sait ce qui lui manque et s’agite pour le trouver ; mais quand le poète ne vient pas au monde avec une médaille frappée à effigie, il ne l’achètera qu’au prix de bien des labeurs, et il lui faudra une rare force de volonté pour briser l’invisible réseau de réminiscences qui l’enveloppe partout où il porte ses pas. Les prédilections sont des piéges, les amitiés des obstacles, et il faut reprocher à M. de Laprade de ne pas assez se méfier de son penchant pour Eloa, Jocelyn, Ahasvérus et Orphée quand ce n’est pas de l’un qu’il se souvient, c’est de l’autre, de telle sorte que sa poésie est comme une vallée un peu brumeuse que M. de Vigny, M. de Lamartine et M. Quinet ont traversée au point du jour, et où M. Ballanche demeure.

Avant ses Odes et Poèmes, M. de Laprade avait publié Psyché, et du premier pas était entré dans le poème symbolique en plein. On ne peut refuser au théosophe le droit de chercher le sens plus ou moins profond que l’antiquité avait voulu cacher sous cette fable de Psyché. Celui-ci l’expliquera d’une façon, celui-là autrement : la chasse au symbole est pleine de hasards et d’incertitudes : cet art ressemble assez à celui des augures. Néanmoins, de telles recherches peuvent avoir un intérêt philosophique, et lors même qu’on ne découvre pas l’explication exacte, on remue toujours des faits et des idées, ce qui a son côté utile. Mais l’intérêt philosophique et l’intérêt historique ne doivent pas être confondus avec l’intérêt dramatique, dont l’épopée, grande ou petite, ne peut point se passer. Si le poète faisait seulement une œuvre de philosophie ou d’histoire, s’il ne faisait pas avant tout une œuvre d’art, il écrirait pour convaincre, pour prouver, non pour charmer l’imagination et toucher l’ame, ce qui est son principal objet. La muse est une enchanteresse ; l’auteur de Psyché ne l’ignore pas, il se trompe seulement sur la nature de l’intérêt ; il pense à tort que la personnification d’une chose abstraite est un être réel avec un cœur et une ame, et, partant de là, il ose, sans craindre l’ennui, faire de sa Psyché, qui n’est rien moins que l’humanité, l’héroïne toujours en scène d’un long poème. — Les allégories, dans la rude guerre qu’on leur avait livrée, semblaient vaincues ; elles se relèvent, et, pour se venger de leur défaite, ne reprennent pas modestement leur place en