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LA POÉSIE SYMBOLIQUE ET SOCIALISTE.

change aussitôt si le poète, dans son culte passionné pour la nature, cherche à entrer en communication avec elle par tous les moyens possibles, se livre à la plus inconcevable des idolâtries, l’idolâtrie pour la matière, et aspire à s’y plonger, faisant le contraire du lion de Milton, qui s’en échappe, les naseaux fumans, la crinière bondissante ; ce qui est un spectacle autrement beau et religieux.

D’après les observations qui précèdent, on peut voir que la poésie symbolique et socialiste est une voie malheureuse d’où la critique doit détourner le talent. Le poète et la muse, en ce temps-ci, compromettent si facilement leur avenir ! Ils n’ont souvent qu’une lune de miel, nous ne l’avons que trop vu. On dirait qu’une fée malicieuse s’en mêle : le roi et la reine du commencement du conte, si riches et si heureux, deviennent d’un coup de baguette un couple qui s’est ruiné follement et fait mauvais ménage.

Autrefois, quand on débutait dans cette difficile carrière de la littérature, on ne manquait jamais d’aller consulter l’oracle, c’est-à-dire quelque talent dans sa gloire, un homme presque toujours simple quand il était grand, qui prenait la peine d’être sincère, et, en vous disant toute sa pensée, croyait ne remplir qu’un devoir. Les lettres de grand homme, en réponse à des dithyrambes d’enfant, où l’orgueil paie outre mesure la flatterie, n’étaient pas encore inventées. L’homme célèbre donnait avec d’autant plus de bonne foi des conseils au jeune homme obscur, que jeune et obscur il en avait demandé lui-même, et que célèbre il en demandait encore. Le jeune Racine était allé consulter Corneille ; l’auteur de Phèdre allait consulter Boileau. L’écrivain avait donc à côté de lui une voix amie et sévère qui excitait et retenait tour à tour. Cette voix n’est pas de ce siècle ; les conseils n’existent plus parce que l’amour-propre n’en demande pas et que l’égoïsme se soucie peu d’en donner. Chose singulière ! c’est à une époque où les gens de lettres se sont associés pour la première fois dans l’histoire, qu’ils n’ont jamais été plus séparés les uns des autres. Chacun s’est retiré dans son orgueil, et l’on ne déroge pas jusqu’à se permettre ce que faisaient naïvement Racine et Molière. Le conseil privé de l’écrivain a disparu, il n’y a plus que le juge ; ce qui est une raison pour la critique d’être plus que jamais vigilante et de dire la vérité à tous, surtout aux jeunes écrivains auxquels elle suppose de l’avenir.

M. de Laprade est de ce nombre, quoiqu’on ne trouve pas encore dans ce qu’il a déjà écrit ce qui constitue le véritable poète, une personnalité distincte. Maniant l’instrument poétique avec habileté, ayant le souffle abondant, rencontrant de beaux vers, l’auteur de Psyché