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sur tous les tons le ministère quand il y a des élections à faire, surtout à Paris ; voici cependant comme il prêche d’exemple.

Il y avait à Paris, dans le deuxième arrondissement, un maire fortement dévoué au gouvernement, et qui, dans les émeutes des premières années, avait bravement payé de sa personne. Le ministère écarte ce maire, malgré le vœu plusieurs fois constaté de l’arrondissement, parce qu’il siége au centre gauche, et pour plaire à un député ministériel. Il y avait à Sceaux un autre maire, qui est en même temps député de l’arrondissement, et qui, non moins que le premier, a fait preuve d’un ferme attachement à la dynastie et aux institutions. Le ministère ne renomme pas ce maire, membre aussi de l’opposition modérée, et, comme personne ne veut le remplacer, c’est lui qui, en qualité de premier conseiller municipal, administre la ville depuis trois ans. À Angers enfin, un honorable député qui siége encore au centre gauche est, comme ses deux amis politiques, privé des fonctions de maire et remplacé par un homme également honorable, mais qui n’a pour lui les sympathies ni du corps électoral ni du conseil municipal. Et quand de cette conduite au moins imprudente il sort les conséquences que l’on devait prévoir, quand à l’abus d’un droit on oppose l’abus d’un autre droit, quand deux prérogatives respectables se trouvent en conflit, on pousse les hauts cris, on déclame contre l’esprit de désordre, on s’en prend à tout, excepté à la vraie cause du mal. On fait même plus, et, dans cette nouvelle situation, on dit tout le contraire de ce qu’on avait dit. Lors des élections, on prétendait que les nuances politiques étaient indifférentes, et qu’il s’agissait seulement d’appeler aux fonctions municipales les plus honnêtes et les plus capables. Une fois les élections commencées, on soutient que les nuances politiques ont une grande importance, et que le ministère ne peut choisir pour maire un citoyen qui ne vote pas avec lui : d’où il suit logiquement qu’à chaque changement de ministère tous les maires devraient être changés. Et l’on ne voit pas que c’est là créer pour l’avenir le danger qu’on a l’air de redouter ! On ne voit pas que c’est pousser fatalement les électeurs à s’enquérir désormais de l’opinion politique des candidats, non de leur aptitude ! On ne voit pas qu’on prépare ainsi la ruine du principe même que l’on prétend soutenir.

Encore une fois, peut-on dire sérieusement que, dans une telle affaire, la question de conduite soit indifférente ? Il est facile de comprendre qu’en ce qui touche à la politique extérieure, elle l’est moins encore, et que là surtout les plus petites fautes peuvent avoir les plus funestes conséquences, des conséquences quelquefois irréparables.