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SITUATION DES PARTIS.

leur côté avec un autre pouvoir ! C’est là cette chaîne que M. Thiers a si énergiquement signalée, et qui chaque année devient plus pesante pour tout le monde.

Dans cette question seule, si on veut la creuser un peu, il y a matière à des réformes nombreuses, profondes, et qui satisferaient une portion notable de l’opposition. Cette question, d’ailleurs, n’est pas la seule. Sans doute, la liberté est grande en France ; mais, il faut le dire, l’esprit de liberté a depuis quelques années singulièrement rétrogradé. Je n’en citerai qu’un exemple : en 1819, le parti libéral tout entier avait regardé comme la plus précieuse des conquêtes l’article de la loi de la presse qui, lorsqu’un fonctionnaire public se prétend diffamé à l’occasion de ses fonctions saisissait de droit le jury et permettait la preuve. Voilà que tout à coup, en 1842, on est venu détruire cette conquête par un détour conforme peut-être à la lettre, mais certainement contraire à l’esprit de la loi. Eh bien ! c’est à peine si l’opinion s’en est émue ; c’est à peine si la chambre elle-même, quand une proposition a été faite l’an dernier sur ce sujet, a paru comprendre ce dont il s’agissait. Il serait pourtant déplorable que la révolution de juillet se montrât moins jalouse que la restauration elle-même des garanties sans lesquelles la liberté finirait un jour par n’être qu’un vain mot.

Je ne veux point ici faire un programme et choisir entre les réformes possibles ; je veux seulement constater qu’il y en a de bonnes, de nécessaires, d’urgentes, qui, si on le désire, peuvent former un lien étroit entre diverses portions de la chambre. Quant à la politique extérieure, est-il besoin de prouver qu’entre une politique téméraire et la politique actuelle il y a beaucoup d’intermédiaires ? Est-il besoin de prouver que, sans se précipiter follement dans des aventures périlleuses, il est possible de maintenir mieux qu’on ne le fait la dignité, les droits, les intérêts du pays ? L’amour de la paix est certes un amour fort légitime et qui mérite d’être approuvé ; il ne faut pourtant pas que cet amour trouble l’esprit au point de ne plus laisser place à aucun autre sentiment ; il ne faut pas qu’il devienne la passion exclusive, le but unique et apparent de la vie, de telle sorte que les autres gouvernemens soient parfaitement rassurés d’avance, et ne puissent plus rien éprouver de la crainte qu’ils inspirent. Or, malheureusement c’est là que nous conduirait la politique actuelle, si jamais elle paraissait définitivement adoptée par le pays et par les chambres. Ce qui contrarie encore ses déplorables effets, ce sont les combats qu’il lui faut soutenir chaque année, c’est l’incertitude qui existe sur