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en plus à s’user par ses propres excès et ne saurait durer long-temps ; c’est en outre qu’en tombant, ce système entraînera nécessairement dans sa chute les hommes qui, depuis trois ans, se sont si docilement dévoués à le faire prospérer et fleurir. La prévoyance la plus vulgaire, la prudence la plus commune, commandent donc de se préparer à cet évènement.

Dans le débat politique qui, au début de la discussion, s’est élevé entre M. Thiers et M. Duchâtel, M. Duchâtel s’est placé sur un terrain où il était bien certain de n’être pas vaincu. Il a tout simplement soutenu qu’une majorité compacte et homogène vaut mieux qu’une majorité fractionnée et composée de nuances différentes ; il a prouvé que cette majorité, quand elle est animée des mêmes sentimens et qu’elle tend au même but, a plus de force et d’autorité que si ses intentions étaient divergentes et qu’elle marchât dans des directions diverses. Ce sont là de ces vérités qui ne peuvent guère être contredites, et M. Duchâtel aurait pu se dispenser de les apporter à la tribune. Mais la question n’est pas là. Est-il vrai que, pour gouverner avec puissance, avec utilité, au dehors et au dedans, le ministère, quel qu’il soit, ait besoin de s’appuyer, non sur une majorité de quelques voix, mais sur une majorité nombreuse et qui lui donne le moyen de résister partout aux fantaisies comme aux exigences ? Est-il vrai qu’à chaque élection générale, malgré les efforts toujours croissans du pouvoir, la chambre se coupe, à quelques voix près, en deux parties égales, l’une qui veut le statu quo, l’autre qui désire le progrès à divers titres et dans une mesure diverse ? S’il en est ainsi, comme on ne peut le nier, quelle est la bonne politique ? On peut, ainsi que l’a fait le ministère actuel, se placer exclusivement dans l’un des deux partis et refuser à l’autre toute espèce de concessions ; mais, comme dans ce système on n’a qu’une majorité douteuse et incertaine on se trouve nécessairement conduit au dilemme que voici : ou bien, marchant d’échec en échec, de faiblesse en faiblesse, on se contente de vivre sans exercer sur la chambre, sur le pays, sur les gouvernemens étrangers, l’influence et l’action nécessaires ; ou bien, pour accroître sa majorité, on fait, par les moyens que chacun sait, appel aux ambitions, aux avidités subalternes, en un mot à tous les intérêts privés et locaux. Souvent même il arrive qu’une de ces conduites ne dispense pas de l’autre, et qu’on les pratique toutes les deux à la fois.

Qu’on ne s’y trompe donc pas, il ne s’agit nullement de savoir si, quand la chambre est coupée en deux portions presque égales, le mi-