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SITUATION DES PARTIS.

faisait précisément le contraire, et dirigeait toute l’intrigue. On n’a pas entendu dire que lord Aberdeen ait jugé à propos de destituer ou même de blâmer M. Aston. C’est un avertissement dont au besoin M. Lyons et M. Bulwer ne manqueront pas de profiter. Le ministère, au reste, n’est pas à cet égard aussi dupe qu’il veut le paraître, et, au moment même où il célèbre l’entente cordiale, il sait qu’à Athènes, comme à Madrid, il existe déjà entre les deux légations quelques germes de méfiance et de désaccord. Il sait que dans un temps prochain, quand la situation sera plus régulière ou plus troublée, ces germes se développeront, et que la vieille lutte recommencera. Au surplus une occasion s’est présentée récemment de mettre à l’épreuve l’entente cordiale, et de voir si elle peut porter quelques fruits. Une des provinces qui forment en quelque sorte l’avant-garde de la civilisation, la Servie, avait fait une révolution toute nationale, toute populaire, et choisi un prince nouveau avec l’approbation de la Porte ottomane ; mais la Russie, sous un vain prétexte et contre le vrai sens des traités, a voulu que la révolution fût réprimée et l’élection annulée. C’était une atteinte manifeste aux libertés de la Servie, aux droits de la Porte. La Servie et la Porte se sont donc unies pour invoquer contre la Russie l’appui des autres puissances. Cet appui, la France était disposée à le donner si l’Angleterre eût voulu se joindre à elle ; mais l’Autriche, toujours dominée par la Russie, ne s’en souciait pas, et l’Angleterre a préféré l’avis de l’Autriche à celui de la France. Qu’a fait alors la France ? Fidèle à l’entente cordiale, la France a bien vite joint ses conseils à ceux de l’Angleterre, et contraint la Porte à céder. Elle a même fait plus, dans le but sans doute de prouver son influence. Il y avait en Servie deux ministres populaires, amis particuliers du prince élu, et dont la Russie demandait l’éloignement. La France, par l’intermédiaire de son consul à Belgrade, leur a conseillé de s’éloigner, en prenant l’engagement de les faire bientôt rappeler. Par un sentiment tout patriotique, les deux ministres se sont éloignés, et, comme depuis un an la France ne paraît plus songer à eux, c’est à la Russie elle-même que leurs amis s’adressent en ce moment pour obtenir leur rappel. Que la Russie l’accorde ou le refuse, elle n’en a pas moins gain de cause.

Ici des dissidences à peine dissimulées, là un accord tel quel, mais un accord stérile, inactif, voilà l’entente cordiale. Si de l’énumération des faits on passe à l’appréciation, on trouve d’ailleurs qu’il ne peut en être autrement. Pour qu’une alliance soit quelque chose de sérieux, il faut qu’elle repose sur des principes ou sur des intérêts ; or,